Chercheur au C.R.E.N. de formation philosophique, M.Fabre réfléchit à une nouvelle problématique éducative en se fondant sur les conceptions de Platon, Aristote, Kant et jusqu'à Deleuze, et se réfère en permanence à Dewey, pédagogue américain pragmatiste du début du 20e s. La métaphore géographique " la carte et la boussole " éclaire l'ensemble de sa démonstration. Nous étions terriens dans un monde stable ; nous sommes devenus marins dans un monde héraclitéen où tout est changement, déconstruction et reconstruction ; où l'on doit en permanence "faire le point" pour trouver la prochaine passe. L'éducation doit s'adapter à ce monde problématique. La transmission des savoirs anciens devient inutilisable ; il faut " renoncer à chercher la certitude dans des référentiels fixes " et trouver d'autres modalités pour préparer les jeunes à ce monde changeant. Fabre suggère de leur donner de nouveaux repères : la carte, —l'expérience, les savoirs antérieurs, ces certitudes devenues provisoires— et la boussole —le questionnement, le doute, la problématisation—, pour que les jeunes s'orientent sur la carte et, surtout, puissent y ouvrir d'autres chemins. Selon l'auteur, l'éducation doit désormais développer la compétence des élèves à poser et résoudre des problèmes.
M. Fabre réfute autant le relativisme, —qui dénie tout problème puisque tout se vaut—, que l'intégrisme, —qui radicalise toute problématique—; autant la nostalgie pessimiste de Finkielkraut que les technocrates de l'éducation : il fustige l'ineptie du "apprendre à apprendre" tout comme l'illusion de croire l'élève capable de construire seul ses savoirs.
Dans notre société éclatée, "la vraie autorité de l'éducateur ne vient plus de son statut ni de son âge": il ne peut plus commander ni faire imiter ; le savoir chosifié de nombreux professeurs, malgré le recours à des supports ludiques tels l'ordinateur ou le video-projecteur, entraîne le désintérêt des élèves, voire leur contestation, par exemple de la théorie de l'évolution. C'est bon signe pour Fabre car aucun savoir ne va de soi ni n'est vérité immuable. Si tout apprentissage se fonde sur la confiance dans le maître et la croyance aux connaissances qu'il propose, aux certitudes de départ ; vient ensuite le doute constructif —non pas la critique systématique du cours— si l'élève a appris à interroger savoirs, opinions, préjugés (la carte) grâce à sa boussole : il les met en question, de même qu'il apprend à douter de lui-même, à interroger ses échecs.
L'éducation doit désormais inspirer aux élèves le goût de la problématisation. L'autorité de l'éducateur vient de sa capacité au conseil autant qu'à l'exigence bienveillante pour amener ses élèves à construire avec lui la problématique du cours —non plus la leur imposer— et y chercher ensemble des solutions. Par exemple, au lieu de leur soumettre la question "Comment expliquer les saisons ", il leur propose "Comment expliquer que dans une année il n'y ait qu'un seul hiver et un seul été ?" Cette formulation paradoxale, à rebours de l'opinion commune, motive les élèves à poser un problème et à s'impliquer avec leurs pairs et l'éducateur "inducteur de problématisation". Ainsi les nouvelles problématiques éducatives, en développant la capacité de l'élève de penser par lui-même, génèreront l'ouverture d'esprit nécessaire à toute émancipation.
Michel FABRE - Éduquer pour un monde problématique. La carte et la boussole. PUF, juin 2011, 220 pages, 24 €.