Cortellini Amadio est l'un de ces idiots magnifiques : son faux nez, porté pour le carnaval, il ne veut plus le quitter et cela finit par provoquer la perte du maire à la réunion du conseil municipal par manque de lucidité : « La discussion fut intéressante car elle fit apparaître deux conceptions différentes de la politique. Le préposé à la santé était un lecteur de Machiavel ; depuis des années il lisait en particulier les discours sur la première décade de Tite-Live : et c'est de là qu'il tirait l'idée politique de lucidité. En revanche l'ex-maire était autodidacte.» Monsieur Pigozzi mourra d'avoir voulu transformer sa Fiat en aéronef pour fuir sa femme.
Le summum est peut-être atteint par Adele Bagnoli qui assiste à des apparitions de la Madone, d'abord avec sa copine Emma, puis avec son institutrice, et puis tout le village. Habillée de blanc, la Madone —alias Maria Concetta— se prête au jeu des questions-réponses par l'intermédiaire de la gamine. « Quand l'Adele répond, certains s'agenouillent, d'autres applaudissent et la maîtresse est très émue. Sur ce, un ignorant analphabète s'avance et demande combien font cinq plus zéro. L'Adele consulte Maria Concetta et répond : « Ça fait six.» Tout le monde regarde sa maîtresse qui a un air sévère ; pour en finir on a chassé l'analphabète, car une réponse de ce genre, il ne l'avait pas volée.» On aimera aussi Rosa Maria Bianconeri et la théorie du complot pour la manière dont les hommes du village qu'elle a écartés se vengent d'elle en utilisant notamment des chiens et des poulets — provocations qu'elle repousse d'une formule en criant par sa fenêtre «"vous êtes des archaïques" c'est-à-dire aussi pleins de conneries que l'Arche de Noé. C'est à çà qu'on voyait qu'elle avait la cervelle raffinée et qu'eux n'étaient que des gigolos.»
Foldingues, fous furieux et hurluberlus semblent s'être donné rendez-vous en Italie. L'humour de Cavazzoni, que l'on peut retrouver dans "Les écrivains inutiles" récemment paru chez Attila, ne plaira peut-être pas à tous, mais encore une chose et c'est mon dernier mot : on se souviendra qu'il a inspiré "La Voce della Luna" à Federico Fellini. Chapeau !
• Ermanno Cavazzoni : Les idiots. Traduction de Monique Baccelli. Points, 2012, 182 pages.