Régine chantait « papiers de riz ou d'Arménie…laissez parler les p'tits papiers… papier collant… papier machine… papier musique…» Sur sa route du papier, Erik Orsenna abandonne cette poésie pour esquisser un "petit précis de mondialisation", reportage sur les lieux où naît le papier d'aujourd'hui après avoir évoqué celui d'hier.
L'histoire du papier commence donc en Chine il y a vingt-deux siècles ; le papier s'infiltre ensuite vers l'Ouest, remplace papyrus et parchemin, et court jusqu'aux rives de l'Atlantique grâce aux empires arabo-musulmans. Quand la vague du papier touche tardivement l'Italie, c'est pour l'invention du filigrane à Fabriano au XIIIe siècle. Quand elle touche la France, ça donne aussi bien la montgolfière que le papier OCB, avec un B comme Bolloré, pour rouler les cigarettes depuis que, faute de pipe, le soldat Corentin Le Couedic inventa la cigarette pendant le siège de Sébastopol en sacrifiant des lettres de son amoureuse... Erik Orsenna nous emmène aux deux extrémités de l'Eurasie pour voir la fabrication artisanale du papier : à Puymoyen en Charente —et est alors expliquée au lecteur la fabrication traditionnelle — et à Echizen au Japon pour rencontrer un "Trésor vivant". Dans cette brève histoire du papier, un mot rapide pour la révolution qui au XIXe siècle mécanisa sa production : en 1826 Firmin Didot achète une papeterie et l'équipe de machines anglaises — l'auteur aurait dû profiter de l'anecdote pour expliquer par l'essor de la presse cette nécessité d'industrialiser l'activité papetière.
La seconde partie, "Papier présent", est solidement documentée. L'auteur visite de nombreuses usines à travers le monde ; il s'intéresse à la matière première, depuis que le papier n'est plus fabriqué à partir du chiffon, la localisation près des forêts est déterminante pour les usines de pâte à papier. Pauvres forêts ? Culpabilité de l'écrivain à succès dont les publications causent la déforestation dans le monde ? Après enquête, Erik Orsenna donne une réponse tempérée : oui, à Sumatra les sociétés indonésiennes détruisent systématiquement le capital forestier avec la complicité des autorités ; non, dans l'Espirito Santo (Sudeste brésilien) la plantation rationnelle des eucalyptus épargne les sols et la forêt primaire. Notre vaillant académicien globe-trotter s'est penché sur l'évolution technologique qui concerne l'économie du papier et du carton. Une redoutable investigation l'amène à forcer la porte des centres de recherches, dans la région de Grenoble qualifiée de "Cellulose Valley", et à Trois-Rivières au Québec, etc. Il découvre ainsi le papier du XXIe siècle qui résiste à l'économie numérique et au plastique. En citoyen responsable, il s'intéresse aux questions environnementales et chante la gloire du recyclage — d'où la visite d'installations industrielles en Seine-Saint-Denis. Le recyclage progresse puisqu'on sait désencrer le papier imprimé : or, la quantité d'encre qui subsiste dans le produit recyclé se mesure selon une échelle qui a un nom : Eric ! pour "Effective Residual Ink Concentration"... Notre Erik en est bouleversé : « Un Eric à 0 veut dire que la page est blanche…»
Régine chantait aussi «…c'est pas donné / papier monnaie…» : la recherche d'Erik Orsenna l'a conduit enfin à examiner de la fausse monnaie — c'est l'histoire du faussaire Bojarski — ainsi que de la bonne, du moins son papier haute-technologie produit par Arjo-Wiggins près de Coulommiers.
Erik ORSENNA - Sur la route du papier. Stock, mars 2012, 311 pages.