Les Nabis ! Les Prophètes en hébreu. Ils s'octroyèrent « le droit de tout oser » comme le rappelle l'exposition du Musée Fleury de Lodève (jusqu'au 14 novembre 2010) intitulée "De Gauguin aux Nabis". On s'accorde à reconnaître en Maurice Denis le théoricien du mouvement et il est resté célèbre pour une définition du tableau : «…un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées.» [1890] - Mais cette formule audacieuse est trop générale pour nous permettre de caractériser les seules œuvres des Nabis. Considérons alors quelques œuvres de l'exposition pour nous guider.
• Elle s'ouvre sous le patronage de Paul Gauguin introducteur de tendances nouvelles, venu chercher « le sauvage, le primitif…» d'abord en Bretagne à Pont-Aven en 1886 et 1888 puis en 1891 à Tahiti et en 1901 à Hiva-Oa aux îles Marquises. Des sculptures reprennent cette recherche liée au "primitivisme".
L'idole à la coquille (1891-1893) - collection particulière
Totem
• L'aventure des Nabis
En s'éloignant de l'impressionnisme, en s'exilant en Bretagne, Gauguin avait été rejoint par Emile Bernard puis Paul Sérusier : ainsi naquit l'école de Pont-Aven — qui ne se résume pas à des bretonnes en coiffe — et démarra l'aventure des Nabis.
Le "Talisman" de Paul Sérusier (qui date de 1888 et ne figure pas dans cette exposition) sert parfois d'enseigne à cette avant-garde foisonnante.
Au lieu de ce "Talisman" les commissaires de l'exposition ont choisi une toile de Jan Verkade comme image emblèmatique des Nabis : son "Paysage décoratif" (1891-1892, coll.part.) sert ainsi d'illustration de couverture du catalogue.
C'est pourtant Maurice Denis qui est l'artiste le plus représentatif des Nabis aux yeux de beaucoup. D'ailleurs le musée qui lui est consacré à Saint-Germain-en-Laye a prêté la moitié des œuvres présentées à Lodève. On remarquera au passage qu'aucun musée n'est consacré aux Nabis en tant que groupe, ni en France ni ailleurs ; le musée d'Orsay leur avait consacré une exposition en 1993, et à Maurice Denis en 2006.
• L'emploi des couleurs rompt sans doute avec l'impressionnisme à la fois par l'audace et la fréquence des aplats – cf. la toile de Jan Verkade –. Mais les aplats ne sont pas systématiques. On dit que les couleurs des Nabis sont souvent très vives : mais l'exposition n'en apporte pas vraiment la démonstration — sinon pour certaines toiles, par exemple la "Tentation de saint Antoine", le polyptyque fortement bariolé et criard de Paul Elie Ranson (1900). En fait les couleurs ternes, les teintes pastel, sont aussi fréquentes et le critère des couleurs vives ne peut pas être retenu. La "Jeune fille de profil" (1891) de Maillol, venue du Musée Hyacinthe Rigaud de Perpignan, montre bien ces couleurs douces. [Encore une fois il faudra faire attention aux couleurs des reproductions, particulièrement sur Internet, si l'on veut monter un dossier sur ce thème…]
Face à cette toile de Maillol l'exposition place une toile de même cadrage novateur, que le cinéma reprendra. Quoique plus tardive cette œuvre est le portrait à l'ombrelle de Madame Sérusier par Paul Sérusier (1912).
Chez les Nabis la perspective est éventuellement déformée quand elle n'est pas délaissée au profit de la mise en valeur de graphismes harmonieux inspirés du "japonisme" et d'un dessin largement simplifié. Ceci vaut tout particulièrement pour Maurice Denis et ses "Régates à Perros Guirec" (1897. Musée M. Denis).
• Le thème de l'intimité toute simple est très fréquent chez Maurice Denis. Loin des grands mises en scène, loin de la grandiloquence, loin de la peinture religieuse, c'est la maternité (1895) ou c'est la simplicité du quotidien que l'on retrouve avec cette œuvre du temps de guerre. On est alors loin du "sauvage" et du "primitif" que Gauguin avait suggéré au temps de Pont-Aven… Voici de Maurice Denis, "La Cabine de bain," 1913-1915, coll. part.
Par l'œuvre précédente comme par bien d'autres, l'exposition montre bien comment passé 1900 les Nabis semblent arriver à une impasse dont ils se sortent chacun à sa façon, l'un par un retour à l'impressionnisme, l'autre vers la tradition en réintroduisant une perspective "classique", etc... Ainsi ce "Nu" de 1912 par Félix Vallotton est-il presque académique et l'on n'y voit plus l'esprit initial des Nabis.
Passée la Guerre mondiale d'autres perspectives artistiques surgissent en France et en Europe... Cette exposition enfin est intéressante par nombre de documents, affiches, illustrations de livres, esquisses, correspondances de ces artistes.