Dans ce premier roman prometteur paru en 1999, C. Oumhani associe une solide construction narrative à une écriture fluide, souvent poétique ; elle sait faire partager les émotions de son personnage sans verser dans le sentimentalisme, et évoque avec réalisme le statut de la femme en Tunisie. Trentenaire, médecin à l'hôpital de Bénissa, Kenza affiche depuis l'enfance sa différence. Encouragée à l'étude par Ahmed, son père instituteur, elle refuse son destin d'épouse et de mère. Un an de doctorat à Paris lui permet de s'éloigner un temps du fiancé choisi par ses parents : écartelée entre deux cultures, la jeune femme achève son émancipation intérieure et assume l'avenir que la tradition lui assigne. Ce roman de happy end révèle à quel point le bonheur annoncé induit de choix personnels douloureux.
Kenza « se refuse à reproduire le rituel des mères », soumises aux époux, asservies à la domesticité, entre tajines et pâtisseries emmiellées ; leurs corps « flasques, déformés », l'écœurent. Traumatisée enfant par le sacrifice du mouton pour l'Aïd, nauséeuse à la vue de la viande et du sang, « manger, se nourrir, représente un effort insurmontable » pour la jeune femme. De même, « l'autre sang, celui que l'on doit cacher », celui des menstrues, l'amène au refus anorexique de sa féminité naissante. « Cheveux raides et courts, corps sec » dissimulé sous la blouse chirurgicale, Kenza apparaît froide et distante : seules comptent la recherche, la vie de l'esprit. Si elle parvient aisément à maîtriser ses émotions à Bénissa, l'immersion parisienne les met à rude épreuve. La liberté de contact, la spontanéité des rencontres, la troublent. Kenza ne parvient à résister à la tentation amoureuse et sensuelle qu'au prix de deux automutilations. Elle renonce finalement à cette liberté dont elle avait tant rêvé. De retour en Tunisie, la jeune femme comprend enfin la prophétie de sa grand-mère Khadija, jadis, en voyant passer une comète — « Peut-être que tu es allée trop loin…Ce qui est écrit est écrit.»
Elle lui a enseigné qu'une femme tunisienne doit être libre en ses pensées, mais tout en assumant son mektoub, son destin social. L'« odeur de henné » ne la rend plus nauséeuse, l'être entier de Kenza est « pétri de l'interdit », « des règles qu'elle côtoie depuis l'enfance…il lui tarde de reprendre la vie qui lui pesait, et même de se marier.» Mais, à la différence des autres épouses, elle y consent en pleine conscience, non par soumission.
Ce roman reste très actuel. Les jeunes femmes tunisiennes demeurent confrontées au même dilemme : être elles-mêmes, pour elles-mêmes, ou tenir leur rang dans une société qui les voue encore souvent aux hommes et aux enfants.
Cécile OUMHANI - Une odeur de henné. Elyzad poche, 2012, 235 pages.