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Dans ces "Lettres  à Doubenka", Hrabal rapporte son périple aux "États Bénis", accompagné de Susanna, sa traductrice, — « comment se fait-il qu'elle sache si bien jurer en tchèque ?» — tout en tenant la chronique des événements de Prague menant à la chute du régime communiste.

• April Gifford, l'américaine débarquée de Stanford pour rencontrer le vieil écrivain, est immédiatement surnommée Doubenka par les buveurs de bière du "Tigre d'or" au 17 de la rue Husova. Par la suite, l'écrivain participe à une tournée américaine organisée par Doubenka : « mon anabase, mon périple, mon On the Road...». La métaphore de cette tournée est aussi « notre grand steeple-chase » avec franchissement d'un « fossé Tour-et-Taxis » vaste comme l'océan. De Washington D.C. à San Francisco, le parcours traverse les universités célèbres, et fait escale chez les minorités de Tchèques immigrés qui applaudissent l'enfant du pays. On lui demande moins ce qu'il pense de Kafka ou Kundera que des nouvelles de celui qui va devenir président.

« Que dites-vous de Vaclav Havel ? Moi, parce que je savais déjà ce qui m'attendait, j'ai répondu en riant que Havel a renouvelé deux mythes... d'une part le mythe de Prométhée, comme lui il a volé le feu divin et le voici au violon... et le mythe de Socrate condamné à mort parce qu'il poussait ses étudiants à devenir des hooligans... il aurait pu émigrer, mais il a préféré boire la ciguë... Alors que Vaclav Havel, au lieu de partir aux États Bénis, reste au pays et réfléchit à ce qu'il dira aux dissidents quand il sortira de sa taule...»

Est-ce qu'il se considère lui-même comme un dissident ? Sa réponse fuse : « c'est cela mon devoir, ainsi que me l'a enseigné Jaroslav Hasek, le plus grand soulographe et écrivain de mon pays natal...» Bohumil Hrabal boit et parle de lui à n'en plus finir. En Amérique comme à Prague. « Je ne suis venu au monde que pour écrire "Une trop bruyante solitude" » confesse-t-il à Doubenka. De bar en bar, nul besoin de le pousser à lever le coude : la Budweiser est « tout à fait bonne quand il s'agit juste d'étancher une petite soif...» Le périple a commencé déjà bien arrosé. « Lorsque nous sommes montés dans l'avion de la Lufthansa […] j'ai confondu les uniformes et en montant à bord j'ai crié Heil Hitler!...» Susanna doit l'excuser. C'est la boisson qui lui fait faire « des bêtises » chez ses hôtes de la capitale : « Mon petit Bohumil, il faut boire moins...» glisse l'hôtesse qui l'envoie consulter ; le praticien prescrit d'arrêter la boisson sous peine de coma. En vain. Boire aide à supporter les chocs des événements : « Je l'avoue, ce qui se passe ici me rend fou, je bois des quantités de bière et parfois de cette maudite vodka, russe, finlandaise, même de la vodka du Groenland, rien que pour oublier ce qui est arrivé et ce qui pourrait encore arriver...» Contraste total : à Kersko, le chalet, la cabane dans la forêt, douze chats attendent le vieil homme qui leur versera du lait contre des caresses.

• On l'aura compris, l'ouvrage vaut pour les anecdotes et les souvenirs. Ainsi, lors d'une conférence accompagnée du film de Jiri Menzel tiré de "La Chevelure sacrifiée", Hrabal est pris à parti par une féministe quand arrive cette scène : « Francin retrousse la jupe de sa femme, puis avec le raccord de la pompe à bicyclette il fouette tendrement, symboliquement sa femme parce qu'elle s'est coupée de l'ancienne Autriche, elle a fait couper ses cheveux à la manière de Joséphine Baker...» Hrabal en rajoute : « mais madame, moi je viens d'Europe centrale […] la coutume voulait qu'au moins une fois par jour le mari attrape les cheveux de sa femme et la traîne à travers la cuisine...» La provocation fait toujours partie du personnage. L'Amérique alterne avec l'histoire tchèque. L'auteur se remémore les arrestations des étudiants tchèques par les nazis fin 1939, lors de la fermeture des universités. Il y échappa on l'emmena à la taverne... Cette fois c'est la boisson qui l'a sauvé. Cinquante ans plus tard, l'auteur déroule le fil des temps  les pogromes contre les Juifs au temps de Kafka, l'immolation de Jan Palach en 1969, les grèves de 1989 comme un nouveau Printemps de Prague, quand les étudiants essaient de tirer Hrabal de sa taverne pour venir haranguer la foule !

• Voilà. Tout juste sorti de prison Havel est élu président. Il va prier saint Venceslas à la cathédrale. « Le même soir, au Tigre d'Or, des jeunes femmes disaient avec indignation... Ce pantalon qu'il s'est faire faire chez Adam, ils l'ont drôlement loupé, il était bien trop court, il manquait tout une hauteur de revers... Et le président Havel, lorsqu'il s'est vu au journal télévisé, en train de passer la garde en revue, a eu ce commentaire : "Ben, ce pantalon, c'était pas la gloire"...» L'auteur ne dit pas à Doubenka si le pantalon était en velours. Dommage. J'aurais aimé retenir comme çà le sens de "la Révolution de velours"... Au fait, l'un ne poste pas ses lettres. L'autre n'y répond donc pas.

 

• Bohumil Hrabal : Lettres à Doubenka. Traduit par Claudia Ancelot, Robert Laffont, 1991, 216 pages. Réédité dans la collection "Points".

 

Tag(s) : #EUROPE CENTRALE ET BALKANIQUE, #PRAGUE
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