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  Si en France l'histoire savante n'a entrepris de s'intéresser à l'immigration qu'au milieu des années 1980, avec Gérard Noiriel notamment, l'école avait déjà commencé à prendre en compte les réalités de l'immigration surtout dans des quartiers où la population immigrée était dense. Au fil des rapports demandés par le gouvernement (Girault 1983, Berque 1985…) et des travaux de sociologues comme Abdelmalek Sayad, l'absence ou l'insuffisance de la prise en compte de l'histoire de l'immigration finit par amener les autorités à réagir et réécrire les programmes et les manuels. L'immigration, en tant qu'histoire et que question, trouve alors une place accrue à l'école primaire comme au collège, en classe de 3e principalement. Au lycée, avec des différences selon les voies et les séries, l'étude historique de l'immigration est renforcée par les programmes de géographie en soulignant l'immigration dans l'espace méditerranéen et les flux à l'échelle mondiale, ainsi que les dynamiques urbaines. J'ajouterai pour ma part que cette complémentarité est accentuée par le fait qu'en France les deux disciplines, histoire et géographie, sont enseignées par les mêmes professeurs, et qu'ils sont presque exclusivement historiens de formation.


Mais le principal intérêt du livre de Benoit Falaize est dans l'évocation des pratiques scolaires où le thème s'insère avec une souplesse qui est fonction des choix des enseignants et augmentée par les IDD et TPE qui explorent des démarches plurisdisciplinaires. Cette analyse des pratiques semble montrer fortement le lien colonisation-émigration, bien explicable par l'actualité politique et par la réalité du public scolaire, — plus de la moitié des "élèves issus de l'immigration" dans les classes sont issus du monde colonial français — mais au détriment des flux d'autres origines géographiques et au risque de trop ramener à l'Algérie et à la "guerre des mémoires". Ces pratiques passent par le recours aux familles, par des récits de vie étudiés au collège par le professeur de français, ou par l'esquisse de l'arbre généalogique, et d'abord par "le tour du monde en restant en classe" dans un CP marqué par la diversité culturelle. Mais travailler sur l'intime, sur l'histoire privée, comporte des risques qu'il faut assumer, y compris la méconnaissance par l'élève de ses origines, ça peut arriver…, ou le risque plus sérieux de stigmatisation.


❋  L'essai de Benoît Falaize s'appuie sur de longues citations de "récits de classe" où s'expriment tant la spontanéité des élèves que la bonne volonté des enseignants. Le credo de l'univers scolaire est : « La diversité est une richesse ». Le paradoxe voire le revers de cette position pourtant généreuse est de considérer l'identité du groupe (de la classe à la nation…) comme une mosaïque réduite à la juxtaposition d'individus résumés par l'affiliation à un groupe culturel figé ("les élèves Maliens", "les Maghrébins", etc) — à l'inverse même d'une conception dialogique de la construction identitaire. Même si le combat contre les idées fausses, l''acquisition du sentiment de tolérance à l'égard des autres, et la reconnaissance des droits de chacun, guident les enseignants, cette quête des origines des familles est susceptible de renforcer les préjugés et l'ethnicisation des rapports scolaires... En conclusion, ces cours et ces pratiques devraient sortir de l'histoire "victimaire" et s'arrimer davantage à des contenus historiques fiables en luttant contre le flou du vocabulaire — le danger des mots qui enferment et séparent — et en résistant à la tyrannie du temps présent. À cette condition, comme le dit Bernard Lahire dans la postface, un enseignement rationnel de l'histoire de l'immigration vaudra toujours plus que tous les discours proclamant de manière abstraite le "droit à la différence" ou vantant idéalement les vertus du modèle démocratique. Un ouvrage à recommander.


❋  Benoit FALAIZE avec Olivier Absalon, Nathalie Héraud et Pascal Mériaux
Enseigner l'histoire de l'immigration à l'école
Co-édition CNHI / INRP
(Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration / Institut National de Recherche Pédagogique)
2009, 233 pages. Bibliographie.




 
Tag(s) : #EDUCATION
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