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Cannone-Penelope.jpgBelinda Cannone signe cette fois un ouvrage d'engagement personnel, un "essai de penser" à la manière de Montaigne, un essai d'écrire, de donner forme à ses idées, à visage découvert et en toute modestie, loin de prétendre asséner aucune vérité. On suit  l'auteur  aux prises avec ses doutes et ses critiques, comme tout véritable essayiste.
 
Adepte du féminisme des années 1970, qui a ouvert la voie vers l'émancipation des femmes et l'égalité des sexes, Belinda Cannone s'appuie sur quelques certitudes personnelles. Elle conteste "l'injonction à l'altérité", la mode de la revendication identitaire, car elle assigne les femmes à leur sexe — réalité biologique — et leur genre —construction sociale. L'auteur  refuse d'être aliénée à la seule identité de "femme mûre", car l'identité d'un être humain demeure multiple et changeante : dans certaine circonstances une femme peut se sentir de genre neutre.


Belinda Cannone s'inquiète en outre de l'actuel succès du nouveau féminisme différentialiste : en prônant la "nature féminine" comme essence des femmes, on les assujettit de nouveau et on maintient l'inégalité. Or il faut poursuivre le combat pour l'égalité : celle-ci implique la ressemblance et non la différence. Hommes et femmes demeurent des êtres humains, semblables malgré leur distinction comme déjà l'écrivait Montaigne : «...les mâles et les femelles sont jetés en même moule ; sauf l'institution et l'usage, la différence n'est pas grande.» Hommes et femmes sont des citoyens, égaux et libres en droit, ce qui amène l'auteur à dénoncer la parité : l'introduction de  la différence des sexes dans la constitution  nuit à la conception universaliste de la personne au-delà de ses particularités. Or, « chacun porte en soi la forme de l'humaine condition » certifiait Montaigne : seul l'universalisme peut mener à l'égalité. Très optimiste, Belinda Cannone veut y croire : ne cédons pas à "la tentation de Pénélope", ne déconstruisons pas ce que Simone de Beauvoir a ébauché.

Certes l'auteur réfléchit sur la base des femmes européennes ultra-privilégiées, car c'est à elles de faire évoluer les conditions des "Femmes du monde": ainsi titre-t-elle les courts extraits d'articles de presse en écho à certains chapitres ; chacun donne l'exemple d'une femme, au Brésil, en Inde ou en Afrique noire, qui a osé braver les contraintes socio-culturelles de son pays pour sa propre liberté.

On ne saurait contester la différence biologique et physiologique entre les sexes : la femme seule peut enfanter, c'est un fait. Mais c'est son interprétation qui génère des représentations inacceptables : car, hormis l'appareil reproductif, rien ne différencie scientifiquement le féminin du masculin. Il est faux de croire à une "nature" féminine destinée à la reproduction. Toute femme, comme l'a décidé B. Cannone, est libre de refuser d'être mère. Seuls l'environnement socio-culturel et l'éducation familiale déterminent la diversité des conditions féminines. S. de Beauvoir l'a prouvé, « on ne naît pas femme » — mais seulement de sexe femelle —, « on le devient » — en raison des constructions sociales qui assignent à la petite fille un genre. Quoi qu'en disent les "gender studies", on ne peut abolir les différences physiologiques des sexes. Mais aucun homme ni femme ne saurait  s'y réduire : tous sont des êtres sociaux aux identités multiples.

Il est urgent de reprendre le chemin du féminisme de 1970 : éduquons les petites filles à s'assumer libres de choisir leur vie, développons leur volonté d'agir pour leur propre épanouissement en pleine conscience de leur responsabilité individuelle. L'égalité des sexes adviendra, selon l'auteur, si l'on transforme nos représentations sociales. Et quel plus bel exemple pour les femmes européennes que celui de Nosud, petite yéménite de douze ans, qui a trouvé la force d'aller au tribunal réclamer son divorce? Mais « encore faut-il que nous supportions notre liberté » note l'auteur... Elle-même semble y réussir, qui s'est choisie écrivain et prédatrice amante, au gré de son désir...


 
• Belinda CANNONE
La tentation de Pénélope

Stock, 2010, 214 pages.
Tag(s) : #SCIENCES SOCIALES, #FEMINISME
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