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« Pereira prétend…» La répétition de cette petite phrase est la marque ineffaçable de ce roman brillant publié en 1994 et qui montre Antonio Tabucchi au sommet de son art. Tabucchi---Pereira.jpegBien sûr la formule comprend des variantes, comme « dit Pereira » ou « aurait voulu répondre Pereira » ou « demanda Pereira » mais ça ne fait que conforter et enrichir le procédé qui caractérise ce roman et qui éventuellement rappelle au lecteur la prose de Thomas Bernhard.

On se souviendra longtemps aussi du personnage et de l'intrigue. Veuf depuis peu, Pereira a besoin de parler chaque jour au portrait photographique de son épouse, quitte à l'emporter dans sa valise s'il part en voyage. Pereira est un journaliste accompli qui après avoir traité des faits divers dans un grand quotidien s'est vu confier une rubrique culturelle dans un petit journal conservateur dont il déserte la salle de rédaction pour travailler à l'écart dans un bureau isolé. Il y cultive sa passion pour la littérature française de Balzac à Bernanos — alors que le régime portugais, que soutient le directeur de la publication, attend une glorification des bons auteurs nationaux. Pereira en effet est peu sensible au climat de dictature nationaliste et fasciste qui règne dans le Portugal de Salazar en cet été 1938. Il est plutôt préoccupé de l'essoufflement que provoque son surpoids quand il doit rejoindre son domicile sur une hauteur de Lisbonne. Le docteur Cardoso va devoir lui déconseiller les citronnades trop sucrées.

Sur le plan professionnel, en ces temps où Wikipedia n'existe pas, Pereira est obnubilé par la constitution d'un stock de nécrologies : « il y a trois ans, quand T.E. Lawrence mourut, aucun journal portugais n'en parla à temps, ils firent tous la nécrologie une semaine plus tard, et si nous voulons être un journal moderne il faut savoir coller à l'événement.» En conséquence, Pereira recrute un stagiaire pour écrire des nécrologies : en fait, le jeune Monteiro Rossi va surtout bouleverser la vie de Pereira. Parce qu'il lui fait connaître des auteurs novateurs ou révolutionnaires tels d'Annunzio, Marinetti ou Garcia Lorca. Parce qu'il milite pour les Républicains espagnols et qu'il met en danger par sa présence, puis celle d'un cousin recruteur, la douillette tranquillité de Pereira. Le jour où la police politique débarquera à son domicile, Pereira recevra un choc salutaire, d'où une chute jubilatoire pour le lecteur : le journaliste qui semblait d'une mollesse définitive se dressera contre l'arbitraire. Un livre qu'il faut avoir lu et faire lire. 

Antonio TABUCCHI  :  Pereira prétend.

Traduit de l'italien par Bernard Comment, Gallimard, 2010, 213 pages (Folio).

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ITALIENNE
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