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Piazza-Ronces.jpgÀ l’écart des villes et des grandes routes, quelque part entre Mazamet et Bédarieux, un village anonyme du Haut-Languedoc où l’hiver est long et rude. Le temps de « sept rentrées », dans les années quatre-vingt, le narrateur qui est l’instituteur d’une classe unique, s’est fait le témoin des habitants ses voisins, y compris parents et grands-parents de ses élèves.

Une galerie de portraits, chacun étayé d’anecdotes saisissantes. Le résultat en dessine l’image d’une France rurale en pleine déconfiture. Les jeunes actifs ne rêvent que des villes de la côte, de Narbonne à Marseille, où ils logent dans des HLM sans potager, mais avec l’eau courante et des salles de bain. Ceux qui sont restés au pays sont pour la plupart des "gens de peu". Ainsi se côtoient au village des retraités installés dans une modeste maison de famille et à qui la télé diffuse un monde étranger, des travailleurs sans véritable qualification, des couples aux revenus incertains et quelques vieux hippies qui n’ont pas su élever les chèvres dans les hameaux des confins. À rebours du village renaissant de Jean Fourastié dans les « Trente Glorieuses », voici une commune rurale en train de mourir.


« Les érudits partis à la recherche des miséreux convertis au brigandage, des voleurs de pommes morts au bagne et des chiens mangeurs d’enfants, étaient revenus pour compter les vieillards et les moribonds. Jamais les vieux n’avaient été si nombreux dans la vallée. Pour connaître le secret des longévités, on préleva l’eau des ruisseaux, la terre des potagers, avec la certitude de trouver dans l’infiniment petit la force qui armait les centenaires. On publia des courbes et des calculs, la dominante des groupes sanguins, le pourcentage des tuberculeux, la nature des épidémies médiévales. Il y eut ainsi mille raisons d’être éternel dans ce pays niché entre le soleil et l’ombre, entre la mer et le ciel. En réalité, les gens d’ici ne vivaient pas vieux, ils se muaient en pierres, tout doucement… »


Ce coin de France qui meurt est gouverné par un maire qui cherche à réagir. Petit patron aussi habile pour vendre les fruits de la région — cerises et marrons — que pour sauter par dessus les chaises lors des festivités municipales. Ce maire inventif occupe les hommes du pays à surveiller la forêt pour la sauver des incendies ; de même voudrait-il sauver l’école et faire revenir un boulanger, deux conditions pour que la commune survive à la vieillesse croissante de ses habitants. Au passage, Antoine Piazza ironise sur la vie politique locale et les candidatures aux municipales, et enfin sur le succès de CPNT aux élections européennes de 1989 :

 

« C’était un nouveau  parti qui abordait les vrais problèmes de société comme le passage des palombes ou la réforme du permis de chasse. »


Il est vrai que le chasse est l’un des thèmes essentiels du livre. Il y a les braconniers et coureurs des bois qui ont « du calibre douze pour le garde ». Les chasseurs organisés en diane. Les éleveurs de chiens, pauvres bêtes mal nourries, ou faux chiens de race. Là est la vraie vie, loin de l’école, dont le jeune instituteur n’est pas considéré par les vieillards du pays avec autant de respect que son vieux prédécesseur, cet homme qui préparait si bien au certificat d’études — dont la fin est annoncée.

Ce court récit procure un prodigieux bonheur de lecture. Des personnages croqués avec vivacité, voire cruauté. Des historiettes qui ne s’inventent pas et que j'ai pris garde de ne pas dévoiler. Un style éblouissant à mi-chemin des « Vies minuscules » de Pierre Michon et de « Ma vie parmi les ombres » de Richard Millet !



• Antoine PIAZZA : Les Ronces. Éditions du Rouergue, 2006. Réédition Babel, 2008, 212 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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