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  Stasiuk---Fado.jpg« Le passé et la mémoire sont ma patrie et ma maison…» C'est le credo d'un écrivain qui ne fait pas dans le présentisme ! Incitant à la mélancolie, un air de "fado" salue l'arrivée du voyageur dans quelque auberge de campagne et justifie le titre de ce recueil de ces récits dont l'auteur né en Pologne habite un village des Beskides près de la frontière slovaque. « Fado »  forme un "road book" consacré à ses émotions, à ses réflexions nées en parcourant cette Europe centrale qui n'est plus Europe de l'Est depuis la chute du rideau de fer.

Cette Europe centrale succède tant bien que mal aux possessions des Habsbourg, que les humoristes appelaient "kakanie" et les géographes "Mitteleuropa". « Fado » est une quête de l'identité du citoyen de Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Slovénie, Serbie, Monténégro, Albanie… Il appartient en théorie à la même civilisation que l'Ouest, mais en pratique le poids des traditions perdure, accentué par le charme défraîchi et un peu exotique de son environnement. L'auteur accorde plus d'importance à la première guerre mondiale qu'à celle qui a suivi. En Galicie, il visite à la Toussaint les cimetières militaires du front austro-russe de 1915 comme des tombes où reposeraient oncles et cousins, tous contemporains du brave soldat Švéïk de Jaroslav Hašek, dont on a multiplié les statues. Les campagnes traditionnelles, à l'écart de l'agrobusiness, avec leurs chalets pittoresques et fleuris, sont à l'image de la ferme des grands-parents. La nostalgie est omniprésente dans ces textes, comme un fil rouge. Le communisme a disparu laissant derrière lui de vieilles usines et de vieilles locomotives rouillées, qui rappellent des billets en zlotys d'avant les années 70. À Stróze, important nœud ferroviaire :« Autrefois il y avait un flipper dans le buffet de la gare.» Et l'ambiance était joyeuse. En cours de route Andrzej Stasiuk  rappelle judicieusement que cette Europe centrale a donné naissance à de brillants écrivains : Canetti, Celan, Cioran, Bulatović, Kiš, etc…

Aujourd'hui, l'avenir venu de l'Ouest s'abat sur la Mitteleuropa ; tel un eurosceptique, Stasiuk voit le futur de sa région comme une addition de défauts. La consommation et les marques ont envahi l'Europe centrale. L'imitation de l'Ouest fait rage ; la description est impitoyable. Les jeunes se réunissent d'abord pour se montrer « leurs voitures d'occasion importées d'Allemagne. Il n'est pas exclu que leur patrie, ce soit la Golf III.» Ils retrouvent ensuite dans les discothèques des filles « vêtues de manière succincte et provocante [qui] ont l'air de vouloir à tout prix se défaire de leur tenues miniatures.» Ils portent des fringues « conformes à la dernière tendance diffusée sur MTV. […] Ils sont maigres, avec les oreilles décollées. La mode des dernières années qui leur impose de se raser le crâne les dénude impitoyablement.»

Dans cette Mitteleuropa désormais soumise à l'appel de la "modernité", seuls les Tziganes campent sur leurs traditions. « Lors de mes voyages, je cherche leurs habitations lamentables et provisoires, en Slovaquie, en Roumanie, en Hongrie. Leur présence m'inquiète et, en même temps, suscite mon admiration. Leur vie marginale remet radicalement en question le sérieux de mon "européanité". Voici un peuple analphabète à la peau mate qui parcourt depuis des siècles l'Europe et l'européanité exactement comme s'il traversait des régions faiblement peuplées, pauvres et peu attrayantes. Parfois ils trouvent quelque chose dont ils font usage, mais dans l'ensemble, ils donnent l'impression d'avoir apporté tout ce dont ils ont besoin. Tout indique qu'ils n'ont rien appris de nous et qu'aucune de nos gloires ne suscite leur admiration. Seraient-ils depuis plus de six cents ans aveugles et insensibles à nos réalisations ? […] On a pourtant peine à croire que notre monde soit à ce point inintéressant.»

Alors que déjà les Monténégrins ont spontanément adopté l'euro, Stasiuk caricature les conséquences lointaines de l'appel de l'Ouest sur les peuples de l'Europe centrale. Il imagine une prochaine migration des barbares.

« Le plan pour les décennies à venir est à peu près le suivant : les Tziganes arriveront en nombre et installeront leurs campements sur les Champs-Elysées, des montreurs d'ours bulgares feront leurs tours sur le Kudam à Berlin, des Ukrainiens à moitié sauvages établiront leurs communautés cosaques misogynes dans la plaine du Pô, aux portes de Milan, des Polonais ivres et pieux dévasteront les vignobles du Rhin et de la Moselle…»

Pauvre Europe !

Ces extraits montrent suffisamment l'agrément de l'écriture de Stasiuk, ni trop plate ni très affectée, presque tous publics. L'écrivain-voyageur a récidivé avec son dernier livre, "Taksim", qui emmène le lecteur jusqu'au cœur d'Istanbul.

• Andrzej STASIUK  :  Fado

Traduit du polonais par Charles Zaremba. Ch.Bourgois éd., 2009, 172 pages.

 

 

 

 

  

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE POLONAISE
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