Les enquêtes du commissaire Montalbano, qui forment à peu près la moitié de son œuvre, ont fait la célébrité de l'écrivain Andrea Camilleri.
• Comme d'habitude, l'action se passe en Sicile principalement entre Montelusa et Vigata. Autrement dit on peut se croire entre Agrigente et Porto Empedocle, ville natale de Camilleri depuis 1925. Le commissaire Montalbano, malgré toute son expérience, a encore tendance à oublier que la circulation est difficile sur cette acropole qu'est Agrigente, je veux dire Montelusa. Et il se met en retard : « Les rues de la vieille ville de Montelusa entortillées comme les intestins dans le ventre, les sens interdits, les travaux en cours, les poubelles municipales débordantes, les ruines d'un immeuble écroulé deux mois auparavant qui obstruaient encore la moitié d'une ruelle, firent arriver le commissaire dix minutes après midi.» Ce retard est fâcheux quand on a rendez-vous avec un ecclésiastique pointilleux, et qu'on enquête sur une association caritative comme la Bonne Volonté, dont les bénévoles forment un réseau influent porté à se plaindre auprès du procureur. « Chez nous, dès qu'on bouge pour n'importe quelle enquête, on tombe sur un député, un prêtre, un homme politique et un mafieux qui se serrent les coudes pour protéger l'inculpé probable.»
• Mais la gastronomie efface les petits soucis du policier, surtout si c'est un repas préparé comme d'habitude par Adelina et partagé avec une amie dans la villa de Marinella : « Si les pâtes n'casciata, quand elles eurent disparu, furent fort regrettées, les aubergines à la parmesane gagnèrent, arrivées à leur fin, une espèce de long lamento funèbre. Avec les pâtes, une demi-bouteille d'un blanc tendre et trompeur trouva aussi une mort honorable, tandis qu'avec les aubergines se sacrifia, de son côté, une demi-bouteille d'un autre blanc qui, sous une apparente douceur, cachait une âme traîtresse. — Il faut finir la bouteille, dit Ingrid.» Comme souvent, Livia étant repartie fâchée chez elle en Italie du Nord, et, parallèlement, le mari d'Ingrid s'étant envolé pour Rome où il est un honorable parlementaire, le commissaire Salvo et la belle Ingrid sont donc un peu dans la même galère : mais leur flirt n'ira pas plus loin.
• Et l'enquête ? J'oubliais l'enquête ! Il y a donc dès l'incipit une jeune blonde retrouvée nue — « elle n'a même pas un quelconque sac à main » — et de plus assassinée, en plein milieu d'une décharge publique. Un coup de feu lui a détruit le visage mais pas le tatouage qu'elle porte à l'épaule : "les ailes du sphinx". Sans se donner beaucoup de mal, mais en invectivant ses collaborateurs — ah, le pauvre Catarella qui bute sur les noms propres ! — le commissaire découvre que la jolie blonde est russe et fait partie d'un groupe de quatre beautés slaves également tatouées, "protégées" d'une association locales dont l'alibi est de prétendre les sortir du vice et de la prostitution... Mais non sans contre-partie. Par ailleurs, Montalbano piétinait sur la disparition du commerçant Picarella quand vint l'incendie volontaire du magasin de couleurs de cet idiot de Morabito. Tout finira par s'emboîter comme dans un puzzle et l'on saura qui, d'Irina, Katia, Sonia ou Zinaida a été la victime et qui a été son assassin.
• Cette enquête, la dernière traduite à ce jour en collection de poche, n'ajoutera pas beaucoup au succès de Camilleri, il faut bien le concéder… Reste que, comme toujours, la langue camilleresque est à savourer — bien il n'y ait pas consensus ! Si le mélange d'italien, de sicilien et d'expressions familières ne plaît pas à tous dans la Péninsule, la traduction de Serge Quadruppani, même adroitement justifiée en préface, ne fera pas l'unanimité dans l'Hexagone.
• Andrea CAMILLERI - Les ailes du sphinx. - Traduit par Serge Quadruppani. Fleuve Noir, 2011, 252 pages. (Sellerio Editore, Palermo, 2006)