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A. Lévy démontre dans cet essai que la psychosociologie, – étude des processus sociaux et psychologiques à l'oeuvre dans la vie des groupes (entreprises, organisations, écoles, milieu hospitalier, famille)–, peut aider à "penser l'événement", Levy-Evenement.pngce qui survient, dont on est informé et qui submerge les acteurs (exclusion, licenciement, divorce...) Ils le perçoivent comme une rupture. Or, pour Lévy comme pour François Jullien, aucun événement ne constitue une rupture : imprévu, mais nullement imprévisible, il est l'accom-plissement d'un processus de changement qui a fait son chemin, à petit bruit, dans la durée. Car un groupe n'est pas un objet figé mais un ensemble dynamique où l'action collective ne cesse de s'opposer aux désirs individuels de ses membres.

 

En conséquence, chaque changement est unique et contextualisé: il n'en existe aucun modèle et toute généralisation reste impossible. Le psychosociologue doit donc saisir sur le terrain comment se nouent les interactions conflictuelles, quelles représentations les acteurs du groupe se font de leur rôle : car le changement naît toujours de refoulés et de tabous, de la mise en cause des certitudes et des structures existantes. À l'évidence la violence l'accompagne : expression du surcroît d'émotions, elle n'est pas en soi mauvaise comme veut le faire croire aujourd'hui "l'aspiration puritaine à une société aseptisée".

 

Le psychosociologue sait "la faire se dire" pour aider le groupe à retrouver du sens et à débloquer la situation révélée par "l'événement". Aucun processus de changement interne à un groupe n'est induit par une loi imposée de l'extérieur, mais par l'évolution des mentalités des acteurs. Nullement "maître à penser", le psychosociologue contribue à restaurer le dialogue entre les membres, à leur faire prendre conscience que leur groupe n'est pas une structure fixe et définitive, en préservant l'indépendance inaliénable de la réflexion, sur les  institutions par exemple ; car  les lois, les procédures administratives, constituent une violence insidieuse qui étouffe l'esprit critique.

 

Sous la plume de ce psychosociologue borderline, le plaidoyer pour une psychosociologie" critique" l'est autant de l'orthodoxie des sciences humaines que des normes sociales. Jusqu'en 1980 on valorisait le changement, synonyme de progrès, en réaction au conservatisme routinier ; aujourd'hui on le redoute, il est source de peurs, d'angoisse et non plus d'espoir. Pourtant le changement reste un processus vital : quand il émerge en un "événement", on ne peut que se demander comment on en est arrivé là : c'est une question essentielle dans une société de plus en plus autoritaire et régressive, où les réponses politiques "dans l'urgence" restent des leurres pour éviter de comprendre les causes socio-psychologiques de l'événement. Leurres aussi les postures soi-disant éthiques de nombreux dispositifs d'aide : ils permettent, selon B. Champagne, d'assurer le contrôle des pauvres – de maintenir la cohésion sociale – et non de les secourir. La véritable éthique pour l'auteur, c'est de permettre la lutte contre le "chacun pour soi" et la peur de l'autre.

Portée par A. Lévy, même si elle reste encore marginale, la psychosociologie se veut subversive, qui vise à convaincre tous les acteurs sociaux des bienfaits du changement.   

 

André Lévy - Penser l'événement - Pour une psychosociologie critique

Parangon, 2010, 251 pages.

 

 

Tag(s) : #SCIENCES SOCIALES
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