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Si vous vous intéressez à ce roman, vous en trouverez facilement des critiques divergentes. Chef-d'œuvre post-soviétique pour les uns, roman sans grand intérêt pour les autres : ces deux regards sont également excessifs. Après le succès des "Dernières nouvelles du bourbier" où l'insolence et l'imagination de l'auteur faisaient merveille, il était sans doute difficile de dépasser l'exploit précédent à la première tentative romanesque. "Lizka et ses hommes" peut-être considéré comme un conte sur l'apprentisssage de la vie par une jeune Russe, débarquant d'une province reculée dans une grande ville de province, G. dans le roman, G. comme "gorod". Ikonnikov---Lizka-et-ses-hommes.jpeg

Elizaveta Ogourtsov, Liza si on l'aime bien, ou Lizka plus banalement, est donc issue  d'une bourgade paumée, Lopoukhov, nom que vous ne trouverez pas sur la carte de Russie, mais dans "Que Faire ?" de Tchernichevsky. Que faire en effet dans ce trou perdu ? Rien quand on est une jolie fille de dix-sept ans, née d'un père absent et d'une mère sans profession, et déçue par ses premières expériences amoureuses.

Alors direction la ville ! Le roman est bâti sur l'éducation sentimentale de Liza : en quelques années c'est une succession de rencontres qui se terminent toutes par la déception, la désillusion, jusqu'à ce qu'un poète — se pourrait-il que ce soit l'auteur? — se trouve sur sa route de conductrice de trolleybus, et encore... Avant le poète il y avait eu un ou deux garçons au village, à la ville ce furent un petit truand, un cadre du Parti, un traminot, et un vétéran d'Afghanistan. Pauvre Liza, elle perd l'espoir de faire de sa vie autre chose qu'une série d'impasses et de banalités, une surprenante expérience parachutiste mise à part.

S'il laisse de côté ces répétitions, le lecteur trouvera dans ce roman de multiples évocations de la vie quotidienne à la fin du système soviétique et au début du "capitalisme" qui l'a remplacé. Le foyer des jeunes travailleurs, les immeubles khrouchtchéviens, les trolleybus forment un ensemble gris, triste et un peu déglingué au milieu de quoi il faut s'efforcer de faire naître l'espoir et la joie de vivre. Parmi les temps forts de ce livre, la scène du mariage de Lizka est à retenir à cause de la coutume du "rachat" de la future mariée sur le mode d'une stratégie quasi-militaire.

« La dernière ligne fortifiée, et la plus importante, était contrôlée par Nina en personne. Les fortifications en question avaient été édifiées devant la chambre où se tenait la fiancée, et elles consistaient en une muraille infranchissable faite des quarante filles du foyer les plus charmantes. L'entrée de la chambre avait été minée au moyen de trois bocaux de trois litres qui contenaient respectivement de la bière brune, du kvas et de la braga. Les assaillants devaient les vider pour se procurer la clef de la chambre, cachée dans l'un des trois récipients...»

C'est ainsi que Lizka avait épousé un conducteur de trolley avant de devenir à son tour conductrice de la voiture 17. C'était plus excitant que de faire la concierge comme elle avait dû s'y résoudre quelque temps faute de pouvoir rester inscrite à l'école d'infirmières. Le mariage ne durera pas et Liza passera des soirées et des nuits à faire la fête avec ses amies, toutes les cinq dans la "Passat" de Vera ; en Russie comme ailleurs, l'émancipation de la femme est passée par le volant — mais au pays d'Alexandre Ikonnikov elle semble ignorer la fameuse alternative : boire ou conduire.

Alexandre IKONNIKOV -  Lizka et ses hommes. Traduit du russe par Antoine Volodine. L'Olivier, 2004, 213 pages. Existe en poche, coll. Points. Edition originale : Rowohlt Verlag, 2003.

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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