Entre autobiographie et autofiction, c'est toute son enfance que rapporte Michel, fils unique de maman Pauline, et ça se passe à Pointe-Noire, au Congo. Pour l'heure, le narrateur n'est encore qu'un élève « de l'école primaire des trois-Martyrs où quand il pleut l'eau entre dans la classe ».
Venu au pouvoir après avoir réussi à troquer son cyclomoteur contre l'unique char abandonné par la France coloniale, le Président est moqué pour être aussi premier ministre, ministre de la défense, et chef du parti unique : le narrateur — laissant bien sûr s'exprimer Alain Mabanckou — n'aime ni les dictateurs tel « l'immortel Marien Ngouabi » ni ses discours marxistes et soporifiques et pas davantage Bokassa et Amin Dada qui sont bien servis au passage. En revanche, le jeune Michel voue une grande estime au chah d'Iran qu'il plaint de devoir souffrir à la fois de Khomeiny, du cancer et de l'exil. Le lecteur est invité à sourire à la fois des piques de l'auteur et du va-et-vient du récit entre la grande Histoire et les micro-événements de la vie du môme. Quant à Victor Hugo on assiste à la disparition de son portrait pour cause de propos jugés anti-africains — clin d'œil de l'auteur à une polémique récente...
La vie du petit Michel se déroule entre maman Pauline qui vend sur le marché et papa Roger qui travaille dans un grand hôtel. Quand Pauline va en brousse s'approvisionner en régimes de bananes pour les revendre à Brazzaville, le petit Michel se fait héberger dans une autre maison, celle tenue par maman Martine, première femme de Roger, et qui, elle, a plusieurs enfants. Elle n'était qu'une villageoise maigrichonne qui dansait « comme un moineau qui vient de tomber du nid de ses parents » quand elle rencontra son futur mari. « Le soir des funérailles du grand-père de nos grands-pères, les hommes de Kinosso avaient formé un rang, les femmes un autre. Et, au milieu, c'est Roger le Prince qui dansait torse nu, un pagne en raphia, les cauris autour des reins, des clochettes autour des chevilles, du kaolin blanc sur le visage et les cheveux...» Grâce au « rythme muntuntu » Roger le Prince quittait le sol provoquant la colère des sorciers du village qui avaient « le secret de la danse en suspension » et depuis qu'il l'avaient inventée « ils n'avaient jamais vu un être humain danser au-delà de dix centimètres du sol...»
Comme son frère —tonton René— Pauline était née dans un village éloigné. Enceinte, elle avait été plaquée par le père de Michel. Après leur installation en ville, René fait des cadeaux à celui qu'il fait passer pour son fils : « il vient chez nous juste pour me donner un petit camion en plastique, une pelle et un râteau pour que je joue à l'agriculteur.» Mais Michel n'est pas intéressé par cette perspective et il préfère la culture savante que papa Roger introduit au domicile de la jeune femme. Un jour il rapporte une radiocassette offerte par un client généreux : et tous d'écouter Georges Brassens. Le vocabulaire du petit Michel s'enrichit illico de mystérieux mots qui riment : « alter ego » et « saligaud ». Puis c'est la découverte des poèmes d'Arthur Rimbaud et notre jeune narrateur s'initiera peu à peu à "Une saison en enfer" — de quoi épater Caroline, son flirt secret.
Michel sait que sa mère rêve d'avoir un second enfant avec Papa Roger, mais le sort s'acharne. « Quand les enfants veulent venir, ils trouvent la porte fermée et ils meurent juste devant cette porte.» Selon le féticheur c'est la faute de Michel, et « ce sorcier là ne peut mentir, il était le féticheur du président de la République…» Caroline et son frère ainsi que Petit-Piment le clochard doivent le convaincre de rechercher la clé du problème, —la clé qui devrait ouvrir le passage à une petite sœur—, quitte à fouiller dans les poubelles, tandis que ses parents lui font des cadeaux inespérés pour que son influence devienne positive. L'année prochaine Michel entrera au collège des Trois-Glorieuses.
• Voilà un fort plaisant récit d'enfance, agrémenté des atouts habituels de l'écriture de Mabanckou : ironie sur le pouvoir, atmosphère magique de certains passages, frayeurs ou filouteries des gamins. Les habitués ont droit à un rappel du quartier Trois-cents et du fameux bistro de "Verre Cassé". Mais pas de bonne publicité pour le "Flytox" qui « pue plus fort que le pipi de chat sauvage » ! Lecteur, toi qui n'aurais pas encore lu Mabanckou — mon Dieu est-ce possible ? — voilà le livre à ne pas manquer.
• Alain MABANCKOU - Demain j'aurai vingt ans. Gallimard, 2010 (Folio, 2012, 400 pages).