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Francalgerie.pngIl existe comme çà des livres qui vous tombent sur la tête, vous mettent K.O. avec le choc de leurs révélations comme furent par exemple pour moi "J'ai choisi la liberté" de Kravchenko ou "Prisonnier de Mao" de Pasqualini. Mais c'était comme dans un autre monde : loin de la France et de l'Algérie.

Une dictature militaire

Toute l'histoire de l'Algérie n'a jamais été qu'une histoire de la violence. Avec comme sous-titre "Histoire secrète de la guerre d'indépendance à la « troisième guerre » d'Algérie", cet ouvrage est fait pour nous ouvrir les yeux. L'histoire de l'Algérie a trop souvent été déformée et méconnue : la "sale guerre" de ces dernières années avec ses 200 000 morts ne fait pas exception. Les auteurs montrent que le pouvoir civil en Algérie a été confisqué par les chefs de l'armée, dès l'été 1962, en s'imposant aux civils du FLN qui ont conclu les accords d'Evian, en mettant au pas les réseaux de la résistance populaire et les wilayas. En 1965, le chef de l'ALN s'empare officiellement de la Présidence en en chassant Ben Bella et désormais c'est l'armée qui dirige réellement le pays, avec ou sans paravent civil. Le cœur du pouvoir appartient dès le début à un clan, celui qui contrôle la Sécurité Militaire (SM) devenue le DRS (Département de Renseignement et de Sécurité) en 1990 et dont ce livre constitue une histoire approfondie. Dans ce clan, le groupe des "DAF", officiers jadis déserteurs de l'armée française, cumule un maximum de compétences, et va constituer le noyau dur des "généraux éradicateurs" quand le temps de l'islamisme paraîtra venu après la présidence de Boumediene. Ces généraux de l'ombre se nomment Larbi Belkheir, Khaled Nezzar, Toufik Mediène, Mohamed Touati, Abdelmalek Guenaïsia. Après Boumediene la corruption s'accroît, fondée sur le commerce avec la France, la nature arbitraire et policière du régime se renforce après 1988 pour combattre l'essor d'un islamisme populaire et arabophone. Ces généraux qui s'en disent "éradicateurs" le combattent, non par une politique sociale, mais par tous les moyens que permettent la force brute, le mensonge, les manipulations et les menaces sur la presse, et avec une certaine complicité des services français. La "sale guerre" est bien moins celle que les islamistes leur font que celle qu'ils font aux islamistes, pacifiquement organisés dans le cadre du FIS (Ali Benhadj, Abassi Madani, ainsi que Abdelkader Hachani assassiné le 22 novembre 1999). Aux premiers maquis islamistes (AIS) les généraux répondent par une politique d'infiltration et par la création de maquis concurrents qu'ils arment et téléguident. Les généraux ne supportent pas que le FIS gagne les élections municipales et le premier tour des législatives (26 déc. 1991). Ils interrompent le scrutin. Ils répriment brutalement les manifestations. Ils tirent les ficelles derrière Chadli Bendjedid, Mohamed Boudiaf, Liamine Zéroual, et depuis 1999, Abdelaziz Bouteflika (photo de couverture). Ceux-ci doivent s'en tenir aux honneurs, et éviter les initiatives, faute de quoi ils sont poussés vers la sortie avec douceur (Bendjedid, Zéroual) ou exécutés (Boudiaf le 22 juin 1992, Fodhil le 4 juin 1996) tandis que Bouteflika a réussi à se maintenir, d'une part par des opérations de blanchiment juridique qui absolvent par avance les éradicateurs et leurs hommes de main, et d'autre part en se présentant aux Américains d'après le 11-Septembre comme un champion de l'action anti-terroriste.

Un pouvoir criminel

Pour la galerie, les généraux d'Alger sont le dernier rempart contre le terrorisme islamiste qui menacerait l'Algérie et la France. En fait ce sont eux les terroristes, pour plusieurs raisons que Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire décortiquent au fil de leur étude chronologique. Le DRS confie aux centres de torture de la gendarmerie ou de l'armée le soin d'exterminer les islamistes réels ou supposés, raflés par des opérations extra-judiciaires. Certains régiments sont spécialisés dans les opérations de commando pour lesquelles les soldats se déguisent avec une fausse barbe pour avoir l'air de vrais islamistes. Parfois les camions de l'armée n'ont même pas à acheminer des troupes pour massacrer des villageois réputés islamistes : ceux-ci, dans la Mitidja, sont à deux pas des casernes (exemple du massacre de Bentalha, 22 septembre 1997). À l'image de la Force K, contre-guérilla française du temps de la guerre d'indépendance, le DRS organise des maquis islamistes, dont le plus célèbre est le GIA, dirigé par une série de tueurs comme Djamel Zitouni et après lui Antar Zouabri, avec des "islamistes" transportés s'il le faut dans les camions de l'armée pour qu'on croie à leur ubiquité. Le DRS infilte aussi l'AIS et d'autres organisations, poussant ainsi aux trahisons et vendettas. On n'hésite pas à faire assassiner le plus célèbre artiste kabyle, Lounès Matoub, pour créer la consternation générale, arme fatale contre le projet qu'avait Liamine Zéroual d'entamer le dialogue avec le FIS. On n'hésite pas à assassiner des dizaines de journalistes algériens, même si leur possibilité de travailler est fort mince, pour prouver que ces diables d'islamistes ne respectent même pas la presse écrite et du coup créer la panique dans l'opinion française prête à croire qu'il vaut mieux un pouvoir de généraux francophones que d'imams fanatiques. Sans s'apercevoir des années durant que les attentats commis en France par les prétendus islamistes  (particulièrement l'attentat à la bombe à la station Saint-Michel du RER à Paris le 25 juillet 1995) le sont en fait par des commandos d'un GIA, non pas organisation terroriste autonome, mais outil secret de le DRS pour obtenir qu'à Paris on soit prêt à reconnaître la nécessité de soutenir les généraux éradicateurs censés combattre le danger islamiste dans son ensemble. L'assassinat des moines de Tibhirine (mai 1996) est bien mis sur le compte du GIA, dans une action demandée par la DRS, en raison (entre autres) de leur position favorable aux accords de Rome pour une normalisation de la vie politique algérienne, incluant donc le FIS et des autres partis.

Un livre d'actualité

Nos auteurs sont fort bien informés car ils ont bénéficié de nombreux contacts. Des officiers algériens ont fini par ne plus obéir aux ordres des éradicateurs. Ils se sont réfugiés à l'étranger, certains transfuges ont créé un site internet de divulgation (MAOL), certains ont pu témoigner devant la justice française, ou aider les ONG soucieuses, à partir de 1997 surtout, de faire la lumière sur cette "sale guerre" et de publier des rapports accablants pour les hommes au pouvoir. Il faudrait aussi rapporter les multiples chemins de la corruption appelée "Françalgérie", dont les auteurs nous affirment —mais sans le prouver— que les partis (français) de gouvernement ont tiré des subsides, autrement dit empoché des rétro-commissions, suite aux commissions souvent de l'ordre de 15 % engendrées par les importations de toutes sortes de choses puisque l'Algérie n'a pas d'industrie de transformation et que son agriculture est ruinée. Il apparaît que les généraux au pouvoir sont financièrement intéressés à ces importations pour lesquelles licences ou passe-droit sont nécessaires.

Le clou final de la mystification est sans doute "2003 l'année de l'Algérie en France" dont le mécène devait être l'homme d'affaires "Rafik" Khalifa. Mais le tycoon béni par les hommes du pouvoir, après avoir invité contre monnaie sonnante et trébuchante de nombreuses personnalités du showbiz pour rehausser le prestige des fêtes de Bouteflika, fit faillite et s'enfuit en Angleterre. Le naufrage de Khalifa Bank ruina de nombreux épargnants au nord et au sud de la Méditerranée.

Que l'épaisseur du livre ne vous effraie pas, courez-y ! Il y a tant à découvrir — ces quelques lignes ne faisant qu'effleurer la masse des informations. Les auteurs sauront vous détailler la faiblesse de nos hommes politiques devant les manipulations du pouvoir algérien (Alain Juppé fut une exception en 1995). Ils vous feront admirer les bourdes des faiseurs d'opinion prêts à gober que les généraux d'Alger allaient exterminer les criminels pour nos beaux yeux et défendre ainsi la liberté et la laïcité — alors qu'ils nourrissaient principalement leurs comptes bancaires. Un index précis et une chronologie détaillée permettent de s'y retrouver quoi qu'il arrive. À l'heure où le monde arabe relève la tête contre ses oppresseurs, il n'est pas inutile de voir comment le pouvoir algérien a multiplié les faux partis d'opposition, truqué les élections, régné par la terreur, parfois avec la bénédiction de Paris.  

 

• Lounis AGGOUN et Jean-Baptiste RIVOIRE

Françalgérie, crimes et mensonges d'Etats. La Découverte/Poche, 2005, 683 pages. 

 

Tag(s) : #MONDE ARABE, #ALGERIE
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