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   Il était une fois une famille de quatre filles prénommées A... : Alice, Angèle, Annabelle, Armelle. Comme dans les romans de Pierre Benoit. D'ailleurs l'une d'entre elles, rencontre l'auteur de Kœnigsmark dans la librairie de Saint-Céré. À l'initiative d'un ex-ministre de Pétain, la ville avait su fêter son élection à l'Académie. « À l'issue des toasts et des discours, alors qu'un ferronnier prestigieux venait de remettre à Pierre Benoit l'épée offerte par ses amis, une jeune femme accosta à la table d'honneur et, à l'invitation de l'écrivain, se déshabilla complètement. Le ministre se joignit à son ami pour répandre sur la jeune femme le champagne qui remplissait une dernière bouteille et, afin de s'assurer que le liquide n'épargnait aucune des parties du corps superbe qui tournait devant eux, les deux notables un peu éméchés ajoutèrent le renfort de leurs mains...» (p.146-147)

 
   Que le lecteur ou la lectrice se rassurent, le livre de Piazza est dans l'ensemble plutôt pudique. Le narrateur –le neveu des taties– décortique la saga familiale à commencer par les ancêtres indispensables: un distillateur du Sud-Ouest et un professeur de lycée à Chambéry : là naquit le quarteron des filles. Une grande partie du livre est centré sur « Maillac » où habite Annabelle qui a épousé Louis dont l'usine de délainage est typique de l'activité industrielle qui assura la fortune de la petite ville depuis la Belle Époque jusqu'au milieu du XX° siècle. Comment n'y pas reconnaître Mazamet ? La sœur cadette, Armelle enseigna le piano dans une institution catholique, tandis qu'Angèle fut religieuse avant de se reconvertir dans l'action sociale et qu'Alice fut infirmière dans l'armée puis dans le civil.
 
   On s'embrouille régulièrement entre les tantes et toute leur parentèle (le lecteur consciencieux esquissera une généalogie pour s'en faire un pense-bête) ; on se perd sans doute, mais qu'importe ! Le cadre historique est très présent tout au long de ces chroniques familiales. L'habileté de l'auteur est d'avoir mélangé les époques et cassé le fil du temps. Le premier chapitre se situe à Nice en 1999 à la mort d'Alice et le livre se referme au même endroit l'année précédente. Sautant d'une époque à l'autre, n'oubliant ni le temps de Vichy ni la fin des Trente Glorieuses et le déclin industriel de Maillac, Antoine Piazza multiplie les anecdotes familiales – triviales autant que grandioses – sans que le livre nous tombe des mains. Pourtant son écriture, marquée par l'absence de dialogue, par ses pages sans alinéa, est aux antipodes d'une écriture “à l'os” ; elle pourrait lasser certains lecteurs par sa prédilection pour les longues phrases et structurées de manière ternaire souvent : or il n'en est rien. Là est son immense mérite puisque le sujet n'est guère excitant quand on y songe : quatre femmes pas très avenantes ! Et que l'âge ne rend guère plus aimables qu'elles vivent seules ou non. Juste un exemple : « Après vingt ans de mariage, mon oncle et ma tante étaient moins un couple qu'une machine de guerre ». (p. 175). Oui, je sais, c'est l'une des phrases les plus courtes du livre...
 
   Le sens du titre – le lecteur s'en sera un peu douté – est explicité à la fin du livre. « Dans la quantité d'objets que produisirent les cartons, aucun n'avait de valeur autre que sentimentale. La porcelaine et les toiles que mon oncle René avait achetées aux puces avaient disparu mais il y avait, soigneusement pliés dans un foulard de soie, des mouchoirs de fil blanc sur lesquels ma grand-mère avait jadis brodé le chiffre de ses filles, qui formait à un sommet de chaque carré de tissu une fine et discrète cordillère de lettres A enchaînées les unes aux autres » (p.233).
 
   Beaucoup de nostalgie dans ce livre où même les moyens de transport jouent un rôle non négligeable. La diligence sur les mauvais chemins du Massif Central côtoie un Solex poussif et diverses automobiles. Le père du narrateur découvre avec surprise la disparition de la manivelle dans sa nouvelle Renault. La petite voiture des sœurs Alice et Angèle –jadis revenues d'une croisière dans le Grand Nord sans le moindre objet souvenir– peine à atteindre la vitesse minimale sur l'autoroute de Nice et la gendarmerie doit l'en évacuer ! Sur la piste des taties on parcourt principalement la moitié sud de la France, de la Côte Basque à la Savoie en passant par le littoral pour atteindre Nice, Leucate ou cet imaginaire Maillac proche du village où Antoine Piazza situait les personnages des “Ronces” qui l'ont fait connaître et apprécier.
 
 
• Antoine PIAZZA : Le chiffre des sœurs. - Éditions du Rouergue, 2012, 237 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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