
Après “Larmes de pierre” où elle racontait son enfance africaine —à savoir apprendre à manier le fusil, à cuisiner un impala, à conduire un tracteur et à se garder des morsures de serpents— Alexandra Fuller revient avec “L'arbre de l'oubli” sur la vie de sa mère Nicola, souvent appelée "Nicola Fuller d'Afrique centrale", tant cette Écossaise s'est attachée au continent africain.
D'une ferme à une autre, au fil des soubresauts d'une Afrique qui se décolonisait, Nicola et son époux, exploitèrent des fermes, d'abord au Kenya — où les avaient précédés les parents de Nicola—, ensuite au Zimbabwe, au Malawi et finalement en Zambie pour la gloire de la pisciculture et de la production bananière, à l'ombre de "l'arbre de l'oubli". Pas de panique : le lecteur trouvera en début d'ouvrage une carte suffisante pour suivre les déménagements successifs de la famille. Alexandra Fuller complète donc son ouvrage précédent, un « Horrible Livre » selon sa mère, en cousant bout à bout des souvenirs vécus et des souvenirs rapportés de conversations familiales.
Tout ça aurait pu faire une brique bien lourde à digérer : il n'en est rien. Le tragique et l'hilarant y font bon ménage. Non seulement le lecteur français se trouve plongé des épisodes méconnus de la décolonisation (l'insurrection des Mau-Mau au Kenya, l'éphémère indépendance de la Rhodésie blanche sous Ian Smith, la guérilla du FRELIMO, etc) mais il s'enchante de la légèreté que l'auteure sait donner à ses “Mémoires”. Il faut dire que le personnage maternel —central— s'y prête en raison de son côté assez brindezingue, un peu fou, souvent outrageusement optimiste. Enceinte de Vanessa, elle lui fait des lectures classiques auxquelles Alexandra a échappé : « Au moins elle ne t’a pas lu Shakespeare quand tu étais dans son ventre, me dit ma sœur. Je pense que c’est pour ça que j’ai des lésions cérébrales.» En fait c'est Nicola qui fera un séjour en hôpital psy, choquée par les catastrophes par lesquelles les années passées au Zimbabwe se sont conclues : guerre civile, mort de deux jeunes enfants, fuite à l'étranger, etc..
Hyperactive, "Nicola Fuller d'Afrique centrale" ne reste jamais les deux pieds dans le même sabot, si je puis dire. Elle se passionne pour les chevaux de course, se lance dans la peinture de chevalet, tente d'apprendre à piloter un avion... tout en travaillant dur dans sa ferme, tandis que la présence des bêtes sauvages et autres serpents venimeux ne paraît pas tellement l'impressionner. Avec ce qu'il faut d'exotisme et son humour ravageur contre la « britishness », Alexandra Fuller (qui est devenue américaine et vit au Wyoming) a écrit un livre réjouissant, et un remède contre toute sinistrose !
• Alexandra FULLER. L'arbre de l'oubli. Traduit par Anna Rabinovitch. Éditions des Deux Terres, 2012, 330 pages.
Chroniqué par Kate