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Un groupe de jeunes madrilènes a loué un local dans un ancien cours de danse. Ils s'y réunissent pour travailler ou se détendre. Un soir, une coupure d'électricité les plonge dans l'obscurité : pris d'un rire interminable, ils se sont alors rapprochés les uns des autres, découvrant leurs corps à tâtons… De là est née l'idée de se retrouver chaque samedi soir dans la pièce en sous-sol soigneusement aménagée afin que nulle lumière extérieure n'y parvienne. C'est dans la nuit totale qu'ils se retrouvent désormais, ce qui favorise toutes sortes de relations érotiques qui peuvent rester secrètes. Des couples se font et se défont, en silence, mais dans la jouissance partagée — « dans le noir toutes les mains sont la même main ».

 

Au fil des années, les membres du “club” apprennent aussi à venir s'isoler dans la pièce obscure pour méditer, se reposer, se ressourcer… En même temps on voit défiler les images de leur vie : les études achevées, les carrières soutenues par les espoirs de promotions, les achats immobiliers et les rêves à long terme. Et peu à peu, avec la maturité, les présences dans la salle obscure se font plus rares. Quelques années plus tard le moteur de la consommation est brisé par la crise : c'est comme un rembobinage du film qui ramène le groupe dans son antre. Et en même temps naît chez certains un esprit de contestation du système économique. L'un des membres est devenu un hacker qui s'infiltre dans les système informatiques des grandes entreprises du pays. Ceci n'est pas sans conséquence sur le groupe : Jesús et Silvia, devenus activistes des Indignés, vont ainsi précipiter la fin de la pièce obscure au bout de quinze années.

 

Isaac Rosa, dont on a lu avec passion l'astucieux roman sur la guerre d'Espagne, fait preuve d'une grande inventivité dans son histoire et au moins autant dans la manière de raconter. C'est un « nous » collectif qui s'exprime, qui s'adresse à l'un ou l'une d'entre eux dès l'incipit : « Ne reste pas là. Allez, entre. Nous sommes tous en bas ». Cela donne donc aux lecteurs le sentiment d'une communauté de destin, communauté soudée, gommant longtemps les individualités, d'autant que les premiers prénoms n'arrivent qu'à la page 58. Sans paragraphes, sans dialogues, les chapitres sont séparés par de courtes séquences décrivant des enregistrements vidéos à l'insu des personnes filmées : on en comprend le sens plus tard quand Jesús expose aux autres son savoir-faire de hacker, lui qui a installé des logiciels de surveillance avant d'être licencié. Pour être crédible, le roman social doit aussi tenir compte de l'évolution technologique.

 

Isaac Rosa : La pièce obscure. Traduit par J.-M. Saint-Lu. Christian Bourgois, 2016, 279 pages. (La habitación oscura, 2013)

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE
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