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Paru en 2022 et couronné de deux prix, ce roman sort de l’oubli les débuts de la colonisation de l’Algérie au 19° siècle, quand Mac Mahon insistait sur cette « action de pacification » qui n’eut rien de pacifique mais fut une déferlante de haine chez les deux belligérants. On peut remarquer l’originalité de l’écriture sans majuscules, rythmée par des anaphores et des leitmotivs, qui n’est pas sans évoquer la forme des versets. En effet, l’auteur nous invite à écouter la confession d’une femme de colon, Séraphine, chrétienne, mère et coupable.
Dans la peur quotidienne d’être tués par un Arabe, par un lion du désert ou par les maladies, les colons tentaient de cultiver cette « terre maudite » ; cette peur décuplait leur racisme car ces « guenilleux chiens de barbares » pillaient leurs récoltes. Lorsqu’une épidémie de choléra emporta ses deux fils, Séraphine en vint à douter de Dieu : « Comment croire après cela? » Le mariage de sa sœur fut la seule trouée de lumière dans leur sombre existence. Les Arabes résistaient en multipliant les embuscades et en incendiant les villages des colons ; la haine et la vengeance motivaient les combattants des deux camps.
« Nous ne sommes pas des anges » reconnaissait le capitaine Landron. Venus pour pacifier, les soldats avaient un droit de tuer et de détruire qui devint vite une véritable jouissance. Si les Arabes n’étaient pour eux que des animaux, leur propre comportement de soldats était souvent bestial. Razzier les villages des « burnous », tuer ceux qui résistaient et violer les femmes, c’était leur « travail de soldat ». L’auteur donne de ces militaires une image peu flatteuse ; galvanisés par leur pouvoir, ils exterminent « ceux qui s’opposent aux lumières que nous leur apportons » puis se livrent à leurs appétits de nourriture, de violence ou de sexe ; le capitaine évoque avec plaisir leurs « ruades de boucs entre les cuisses des moukères ».
Méprisés par le gouvernement français qui les a trompés sur la terre où ils avaient choisi de s’établir, Séraphine et les siens renoncèrent à leur concession et rentrèrent en France. Elle bat sa coulpe, coupable de les avoir entraînés dans cette aventure contre leur gré et pire encore… Le sabre du capitaine c’est « le fléau de Dieu », et coloniser c’est détruire. Au 19° siècle, la France était déjà la « civilisation proliférante et surexcitée » que dénoncera Lévi-Strauss cité en exergue. Par sa violence et sa puissance, ce roman force à s’interroger.
Chroniqué par Kate
• Mathieu Belezi : Attaquer la Terre et le Soleil. – Le Tripode, 2022 et 2024, 139 pages.
Du même auteur : Moi, le Glorieux.