/image%2F0538441%2F20250531%2Fob_2dab79_ma-jian-china-dream.jpg)
Ma Jian est un auteur qui n’est plus publié dans la Chine de Xi Jinping, mais à Taïwan en chinois et à Londres en anglais. Ce n’est pas surprenant. Dans ce roman il se moque frontalement de la formule du président de son pays natal : le Rêve chinois. Par cela il imagine l’histoire de Ma Daode, Directeur du Bureau du Rêve chinois dans la ville de Ziyang que le maire Chen a réussi à jumeler avec San Diego. Il en résulte un roman subversif à la fois comique et tragique qui est une charge contre le pouvoir communiste et contre la corruption des élites au service du régime autoritaire de Xi Jinging. La couverture est un dessin d’Aï Wei Wei.
Ma Daode est un cadre importun, bien corrompu. Une boîte de gâteaux de lune envoyée par un homme d’affaires s’avère cacher un lingot d’or et vient s’entasser parmi « les cadeaux reçus en échange de faveurs politiques ». Sa fille fait des études à Londres. Il ne trompe sa femme que depuis qu’il a été promu « chef de la propagande du comté », vit entouré de maîtresses avides revenues de leurs études aux Etats-Unis, elles lui envoient des messages enamourés, il jongle avec ses portables, et parfois se trompe. Il dépense sans compter au bordel où les filles sont déguisées en Gardes rouges, choisit Numéro 8, du bordeaux et du « maotai », ce qui aboutit à faire surgir des moments partagés avec Pen Hua au temps de leur jeunesse, au temps de la Révolution Culturelle, quand elle trouva la mort dans un affrontement entre bandes rivales.
Ma Daode adhère parfaitement à la propagande officielle : le rêve chinois est collectif, pour son succès il faut effacer les rêves individuels par un lavage de cerveau (xinao). Pour l’avenir en effet il se fonde sur la production d’une puce qui serait greffée sur chaque individu. En attendant que le projet devienne réalité, et l’usine n’est même pas construite, Ma Daode a fort à faire pour endiguer ces bouffées de passé qui l’envahissent à tout propos, en plein discours mélangeant malencontreusement le temps de Mao avec celui de Xi. Il risque de se retrouver « à la Maison de retraite du lac Sud » !
Pour l’heure il doit tenter de convaincre les paysans du village de Yaobang pour aménager une vaste zone industrielle. Il s’y rend car c’est le village où vivaient ses parents et il y connaît encore des habitants. On s’imagine qu’il pourrait les amadouer. Or, les paysans ont déjà manifesté leur opposition au projet, dénoncé des indemnités illusoires, et se sont barricadés comme dans la ZAD de Notre-Dame des Landes. Un cocktail molotov lancé par un résistant lui remémore d’atroces scènes de bataille. Ma Daode non seulement n’obtient aucun résultat mais le passé lui revient en boomerang et compromet son action. Un jour de cérémonie consacré aux couples fêtant leurs noces d’or, il déraille et le service d’ordre doit intervenir !
Décidément, le passé ne passe pas. En 1968, Mao Daode faisait partie d’un groupe de jeunes révolutionnaires, l’Orient rouge, en lutte contre le Million de Guerriers courageux. Enragés et sanguinaires, les deux clans se sont étripés au nom de Mao. Les dépouilles de centaines de victimes sont maintenant recouverts par le béton de l’autoroute et de la zone industrielle. Lui-même a été blessé. Ses parents ont été dénoncés comme « droitiers » et se sont suicidés. Le traumatisme causé par cette sinistre période le hante de plus en plus. Ma Daode ira même consulter un charlatan qui lui conseillera une boisson magique. Rien n’y fait. Les morts viennent l’importuner jusqu’à ce qu’il les rejoigne. La puce du rêve chinois arrivera trop tard — si elle arrive un jour ! La fable peut se classer au rayon du roman dystopique puisque l’État impose l’amnésie politique et expurge romans et livres d’histoire. « Les tyrans chinois ne se sont jamais contentés de contrôler la vie des gens : ils ont toujours cherché à entrer dans leur cerveau pour les remodeler de l'intérieur » note Ma Jian dans la préface.
• Ma Jian : China Dream. – Traduit de l’anglais par Laurent Barucq. Flammarion, 2019, 200 pages.
Voir d'autres recensions sur les blogs Asymptote et Ploughshares.