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Le narrateur, Neil, se souvient d’Elizabeth Finch, qui a donné des cours de culture générale à des adultes dont il faisait partie alors qu’il avait une trentaine d’années, et la professeure la cinquantaine. Le style particulier de l’enseignante l’a subjugué et il en est même tombé amoureux. Contrairement à d’autres cours, pas de graphiques ni de diagrammes, mais une démarche collaborative inspirée des philosophes grecs de l’antiquité. Ces cours ont été marqués par des allégations de l’enseignante à l’encontre du monothéisme — et de tout ce qui commence par le préfixe mono ! Neil avait remarqué ses propos favorables au polythéisme et son évocation de la tentative d’en assurer la défense et la promotion qui caractérise le court règne de l’empereur Julien. Lors d’une conférence E.F. avait développé ces mêmes idées, recueillant dans la presse le jugement fort négatif d’un critique qui cria au scandale. Cela pesa lourd dans le penchant de Neil pour son ancienne professeure et la prise de conscience de son attachement à elle.

 

Neil a conservé le contact avec sa prof magique, la retrouvant dans un modeste restaurant, une ou deux fois l’an. Des années plus tard, il hérite par testament d’Elizabeth Finch de l’ensemble de ses livres et carnets. Neil entreprend alors de faire le portrait physique et moral d’E.F. comme il l’appelle couramment, en vue de rédiger sinon un livre savant du moins un livre d’hommage ou un essai biographique. Christopher, le frère de la disparue, un type plutôt fruste, ne lui est pas d’une grande aide pour se la remémorer. En revanche les carnets qu’elle tenait, une fois analysés avec soin, le poussent à se lancer en parallèle dans l’étude de Julien l’Apostat. Et il se trouve que c’est un de mes personnages historiques préférés !

 

On s’aperçoit que de nombreux auteurs, de la Renaissance au XXe siècle, ont déjà exploité ce filon, cité ses lettres et ses essais comme le Misopogon. Certains comme Michel Butor n’ont fait qu’une discrète allusion à Julien l’Apostat, dans la Modification, mais d’autres lui ont consacrés des pièces de théâtre ou d’épais romans, tels Merejkovski et Gore Vidal. Neil s’intéresse particulièrement à une citation : « Tu as vaincu, ô pâle Galiléen » comptant parmi les derniers propos de l’empereur tombé dans la désastreuse guerre contre les Parthes. Julien n’appelait pas Jésus autrement que par cette expression et les chrétiens n’étaient pour lui que les « Nazaréens » — deux termes choisis à dessein pour minimiser leur importance en la réduisant à une petite localité et une minuscule région de l’immense empire. Pour lui rien ne pouvait égaler la civilisation grecque.

 

Avec ces carnets d’E.F. et la lecture qu’en fait Neil, Julian Barnes nous adresse finalement des propos pleins de finesse sur la vie, l’amour, la mort et la religion. Souvent il s’agit de questions apparemment toutes simples, mais source de réflexions infinies, ainsi : « La civilisation progresse-t-elle ? » Barnes aime aussi citer des aphorismes y compris des autres : « Le monde est mal fait parce que Dieu l’a créé tout seul... » est attribué à un certain A.C. Je signale aux futurs lecteurs de ce “roman” qu’il ne s’agit pas d’Albert Camus mais d’Alfred Capus, un académicien cuvée 1914, aujourd’hui bien oublié. Mais pas de Julian Barnes dont les connaissances littéraires étincellent dans ce livre plein d’esprit.

 

 

Julian BARNES : Elizabeth Finch. - Traduit par Jean-Pierre Aoustin. Mercure de France, 2022, 194 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE
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