/image%2F0538441%2F20250425%2Fob_06204d_koenig.jpg)
Au cours de leurs études d’agronomie, Kevin et Arthur ont développé une forte hostilité à ce qu’est devenu l’agriculture industrielle et chimique. Ce sont des “bifurqueurs”, des anti-système. Une conférence consacrée aux vers de terre comme preuve de l’état de santé des sols et à l’élaboration d’humus par le compostage va les amener à s’engager dans des voies qu’ils pensent innovantes et riches d’un avenir possible face à l’effondrement promis par bien des augures. Vive les lombrics donc.
Ces deux personnages sont fort différents. Enfant d’ouvriers agricoles du Limousin, Kevin devient la preuve que fonctionne encore l’ascenseur social quand avec son intrépide amie Philippine il fonde sa start-up : ce sera une entreprise de compostage naturel par vers de terre, mais à échelle industrielle, et en même temps le fin du fin de l’écologie : Veritas. De son côté, Arthur, fils d’avocat célèbre, s’établit comme paysan bio sur des terres venant de son grand-père dans un village normand fictif, Saint-Firmin. Tandis que l’un devient millionnaire, rencontre des personnalités et s’expose dans les médias comme Libération, l’autre s’échine à faire revivre les terres fatiguées dont il a hérité, ce qui lui vaut un procès avec son voisin et le respect des seuls marginaux du coin. Leurs deux expériences semblent s’éloigner définitivement mais l’auteur réussit à multiplier les rebondissements.
Par amitié plutôt que par compassion Kevin tente de se rapprocher d’Arthur. Pas si simple ! De fait la brouille éclate car Anne en a eu assez de vivre dans un trou du bocage et a rejoint l’entreprise prometteuse de « vermicompostage » et le lit de Kevin. Comme si ça ne suffisait pas à mettre du piment dans l’intrigue voila que le succès de l’entreprise Veritas ne serait pas sans faille, qu’il serait même frauduleux selon le Canard Enchaîné. La réussite de Kevin est brutalement menacée. Parallèlement, l’insuccès d’Arthur le conduit à fréquenter des écolos bien radicaux qui mijotent de “tout péter” tant et si bien que le groupe Extinction Rébellion entre en scène…
Voilà donc un roman dont l’auteur réussit à mélanger une série de thèmes actuels. La critique de l’agriculture productiviste au nom de la biodiversité, et de l’avenir du vivant, rend la cause des deux jeunes agronomes comme une traduction symbolique de l’urgence pour les générations d’aujourd’hui. On ne tombera pourtant pas tout à fait dans le roman à thèse. L’ironie mordante de Gaspard Kœnig vise tous azimuts : les ingénieurs aux fausses compétences universelles, le capitalisme vert, le retour à la terre et les marginaux des villages, et même le flou des identités sexuelles. Il s’ensuit une belle galerie de portraits, depuis la militante trotskiste qui conteste les allocations dont bénéficie Arthur, jusqu’au ministre des finances débordé mais pressé d’accorder des passe-droit à la société de Kevin.
Dans une époque où l’on est invité au tri sélectif de ses déchets, où le recyclage et l’économie circulaire s’imposent, ce roman interpelle son public. Bref une lecture vivifiante quoique souvent un peu trop bavarde ! Le roman a été couronné du prix Interallié en 2023.
• Gaspard KŒNIG : Humus. - Les éditions de l’Observatoire, 2023, 379 pages.