Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Après le succès du Voyage au bout de la Nuit en 1932, Céline s’est lancé dans une fiction d’inspiration médiévale, qui n’a pas été finalisée. Il l’a d’abord intitulée La légende du roi René, puis La volonté du roi Krogold. En restent deux versions incomplètes, un tapuscrit de 1933-34 et un manuscrit de 1939-40, qui lui furent dérobées à la libération de Paris et ont réapparu en 2010 en même temps que Guerre et Londres déjà chroniqués ici. Comme son éditeur Robert Denoël ne voulait pas de ce conte médiéval, Céline en a recyclé des passages dans Mort à Crédit, et ultérieurement dans Guerre et plus longuement dans Londres.

 

———————————

 

Dans ce qui subsiste de ce roman médiéval, les deux parties publiées aujourd’hui ne sont pas similaires, tant par le contenu que par l’écriture. Mais elles se recoupent partiellement. Ce que lecteur d’aujourd’hui se voit proposé en premier célèbre Krogold en roi victorieux. Il vient d’écraser l’armée du prince félon Gwendor alors que Wanda, sa fille, en est amoureuse. Krogold marche sur Christianie, la nordique capitale rebelle pour y rétablir son autorité. Les imagiers y sont connus pour avoir stoppé l’assaut des Turcs en se parant de leurs images épinglées sur leurs vêtements. Krogold célèbre son triomphe en la cathédrale où il pénètre en cavalier, reçu par son frère évêque. Scribe à la cour, sorte de devin, Basile Excelras écrit à son ami Tébaud de venir les rejoindre avant le départ de Krogold à la croisade. Tébaud est un baladin, un trouvère. Il vient de tuer un archer du guet à Paris. Après sont crime il s’est mis au vert en Angoumois puis il décide d'aller retrouver son ami Joad à Rennes. Là, il tue secrètement Morvan, père autoritaire de Joad et président du parlement de Bretagne. 

 

Dans le second texte reproduit, le plus ancien, le roi Krogold porte encore le nom de René et le baladin Tébaud s’appelle encore Thibaut. Il remonte des Charentes vers Rennes et se dispute avec le batelier pour traverser la Vilaine sans payer. À Rennes, il fréquente le bordel de la mère Amelot, où il viole la prostituée Angèle avant d’exposer un point de vue cynique sur le couple : « Qui mangerait des épinards vingt ans de suite ? À tous ses repas ? Qui ? Je vous le demande, mesdames ? Un fou ? » Par la suite il tue Morvan, et part à l’aventure avec son ami Joad après avoir fait étape dans un monastère naguère ravagé par « l’armée vagabonde » du roi René et reconstruit par le baron de Marzafel qui s’y est fait ermite.

 

———————————

 

Plus qu’à une aventure pseudo-médiévale, le lecteur est invité à se confronter à une étonnante transformation stylistique. Prenons par exemple les deux passages décrivant l’arrivée d’un cavalier au château royal d'Elfesdal où Wanda et sa mère attendent des nouvelles de la bataille. La différence est saisissante entre une première version assez plate et la seconde plus imagée, plus impressionnante et pleine d'allant. 

 

« C’était un noble lourdement armé pour la guerre, une bride cramoisie, à sa selle pendait une sacoche d’où l’on voyait dépasser des parchemins en rouleaux… » Il arrive au château dominé par la tour de Morehande surmontée d’un étendard. « Le cavalier se dresse sur ses étriers ; d’un petit cor qu’il porte à sa bouche, une note pointue s’élance, étonnante, le long des murailles. Il attend. À côté de l’étendard un autre son pointu, le même presque, lui répond. Il attend. Alors on entend des chaînes qui grouillent, qui grincent, des sursauts de bois battus, des marteaux, de l’autre côté des fossés lui parviennent des rires, on tape : la poussière s’échappe le long du tablier du pont qui s’ébranle. » (pp. 153-154).

 

Version suivante : « La bête enlevait les fossés… On avait à peine le temps d’apercevoir dans l’écume bête et cavalier au passage franchissant à bons volants roches… traîtres crevasses… arbres abattus… tout blancs dans l’écume… à plus violent galop encore… à tombeau ouvert… tagadam… ta ga dam...» Le messager approche du château : « Tout en retrait des murailles au plus noir de la forteresse d’un géant de roche se hausse la ventrue Morehande, la tour du trésor et du Roi. Nul bastion dans les trois empires n’est plus massif, énorme, bouffi de moellons, de fascines, dardé de ferrures, de redans, à soutenir, bouter vingt sièges, tout un siècle de ruées asiates, quarante, deux-cents feux célestes, trois déluges. » Le cavalier est arrivé : « Tout au sommet du donjon apparaît alors un héraut vêtu d’un pourpoint jaune et bleu. D’une longue trompe d’argent il lance trois appels fort aigus qui filent au grand vent. Puis au créneau il va, se penche, et de si haut interpelle le cavalier minuscule au pied du rempart.

Ohé ! Ohé ! Que nous veux-tu ?

Victoire ! Victoire ! Celui-ci hurle, s’égosille, victoire au Roi !

Il attend encore un moment puis de l’autre coté de l’eau éclate un boucan formidable. Un énorme éboulis de chaînes… de poutres en fracas… le gigantesque tablier lentement s’abaisse... » (pp. 55-56).

 

———————————

 

La fortune du roi Krogold utilise tous les ressorts du récit médiéval y compris la magie. À preuve, d’emblée, le récit de la bataille gagnée par le roi où Céline dépeint en pleine bataille, Gwendor luttant avec la Mort. Le prince a oublié le verset magique à lui confié par Excelras le Devin, la formule à réciter pour appeler à l’aide le Diable et ses « cent mille Démons pour dépecer ce porc de pourpre ! » c’est-à-dire Krogold. « La magie d’Excelras » tient dans un livre qui «  ne peut se lire qu’aux étoiles… à la clarté de la lune déjà tous les caractères se brouillent… au jour les lettres ne se lisent plus, toutes les pages sont noires… il faut les étoiles… c’est le livre du destin. Il me l’avait gravé tout en venin d’araignée sur une fibre de roseau... » (pp. 39-40). Hélas pour le malheureux Gwendor aimé de la princesse...

 

 

Je n’en dirai pas davantage de cette étonnante publication qui s’adresse bien sûr en priorité aux fans de Céline. Voilà une œuvre inachevée et débridée qui tient de la chanson de geste, qui s’inspire de l’écriture de Rabelais et sans le savoir tend vers un road movie...

 

 

Louis-Ferdinand Céline : La volonté du roi Krogold... Édition établie et présentée par Véronique Chuvin, suivie d’un essai d’Alban Cerisier. Gallimard, 2023, 313 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :