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En 1492 Cristobal — Christophe Colomb — établit la première colonie espagnole dans les grandes Caraïbes sur l’île de Quisqueya qu’il nomma Hispaniola. La plupart des Indiens qui la peuplaient furent exécutés. Frédérique Deghelt fait revivre ces « Sauvageries » espagnoles sous la plume de Taïna, jeune rescapée des massacres alphabétisée par Bartolomé de Las Casas. Face aux cruautés de ses compatriotes celui-ci était retourné en Espagne en 1512 se faire ordonner prêtre pour témoigner et défendre les Indiens. Mais lorsque Taïna lut « une partie de son futur livre » elle découvrit que « ses propres recherches et demandes de témoignages contenaient trop de choses erronées sur [son] peuple ». Elle décide donc d’écrire la vérité et raconte au fil de ses souvenirs, sans ordre établi : « ma plume sera sauvage » prévient-elle dès le prologue.
À sa naissance en 1474 Taïna portait au front la marque de son destin : devenir une Belique, une chamane, et la voix de son peuple. Elle vécut enfant séparée de sa mère biologique, initiée par Maa sa mère adoptive, qui avait eu la révélation de l’arrivée des Espagnols et du grand amour que connaîtrait Taïna. En 1492 trois soldats tentèrent d’abuser d’elle : Diego la sauva. Lors d’un combat contre les Taïnos, à son tour Taïna sauva Diego mourant. Une fois rétabli, il devint Taïno, épousa la jeune indienne : quatre enfants leur naquirent… « Mon récit devient désordonné » note-t-elle quand elle se remémore comment les Espagnols réduisirent les survivants en esclavage puis les remplacèrent par des Noirs « plus efficaces ». Devenue veuve, Taïna survécut réfugiée dans les montagnes avec ses deux filles.
Ainsi la belle romance amoureuse permet à l’autrice la confrontation de deux cultures ; elle retrouve alors des accents rousseauistes. À l’inverse des autres tribus anthropophages de l’île, Taïnos signifie « hommes bons » respectueux de la nature où vivent les zémis — les esprits — sous le regard de Yaya, la divinité suprême. Dans cette ethnie qui ignore la propriété privée comme la peine de mort, chaque Taïno reste libre, perfectible et rédimable : le mythe du bon sauvage n’est pas loin… Taïna ne peut comprendre les croyances des Espagnols « qui n’appliquaient aucune des règles de leur religion »… et « n’étaient que des êtres vils, menteurs et meurtriers ». Selon Bartolomé cité en exergue : « en quarante ans sont morts à cause de cette tyrannie plus de douze millions d’êtres vivants ». En permettant à Taïna de découvrir la culture espagnole, F. Deghelt rend saisissante l’opposition de deux systèmes de valeurs.
« Les Indiens ont-ils une âme ? » : Bartolomé en discuta avec le théologien Sepulveda en 1550. Avec ce roman le vieux débat Nature/Culture trouve là un nouvel écho.
• Frédérique DEGHELT : Sauvageries. - Actes Sud, 2025, 267 pages.
Chroniqué par Kate.