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La présentation de l’éditeur mérite d’être reprise. « 1952 : dans une cafétéria juive de Broadway, Jakob Bronsky, tout juste débarqué aux États-Unis, écrit son roman sur son expérience du ghetto pendant la guerre : Le Branleur ! Au milieu des clodos, des putes, des maquereaux et d’autres paumés, il survit comme il peut, accumulant les jobs miteux, fantasmant sur le cul de la secrétaire de son futur éditeur, M. Doublecrum… Dans la lignée de Fante, de Roth et Bukowski, Fuck America est un témoignage étourdissant sur l’écrivain immigré crève-le-faim. »

 

C’est vrai, mais ce n’est pas tout. L’écriture très particulière d’Edgar Hilsenrath est largement fondée sur des dialogues brefs, parfois étonnamment brefs, assez répétitifs aussi, qui donnent une impression de légèreté et de vitesse. Les centres d’intérêt de Jakob Bronsky ne s’éloignent jamais longtemps de sa vie sexuelle. Mais quand il pense à autre chose qu’au sexe et à l’argent (c’est-à-dire à ce qu’il lui manque) c’est pour fustiger la vie américaine, la course au succès et au fric, la réussite à tout prix caricature du “rêve américain” — le titre est éloquent. Les jeunes américaines qu’il aimerait rencontrer, juives ou goyim, lui semblent trop excessivement intéressées par les revenus de leurs éventuels partenaires et les dépenses en bijoux, voiture et restaurant qu’elles en attendent avant de s’engager. Le récit de la visite aux cousins riches établis à Long Island se moque aussi malicieusement de leur réussite matérielle. C’est un anti-Gatsby le magnifique. C’est un monument d’humour juif, avec ce qu’il faut d’autodérision.

 

Bien évidemment, Jakob Bronsky est l’alter ego de l’auteur et c’est essentiellement ce qui m’a intéressé dans cette lecture. L’incipit évoque le double refus de visa opposé en 1938 et 1939 par l’administration américaine à Nathan Bronsky commerçant juif établi à Halle-sur-Saal. On sait qu’à cette époque le régime des quotas migratoires à fortement limité l’entrée de réfugiés juifs cherchant à échapper aux persécutions hitlériennes. Les derniers chapitres forment un hilarant dialogue supposé avec une psychanalyste new yorkaise, et caricaturent l’odyssée de Jakob Bronsky et de sa famille. Sans nouvelles de Nathan, la mère et le fils se retrouvent en ghetto à Mogilev-Podolsk, sont séparés, réussissent à échapper au génocide et c’est seulement en 1952 qu’ils débarqueront à New York. En d’autres termes c’est un peu le parcours d’Edgar Hilsenrath.

 

Edgar HILSENRATH : Fuck America. Traduction de Jörg Stickan. Attila, 2009, 291 pages. Initialement publié à Munich en 1980.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ALLEMANDE
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