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« Qui se battra pour nos droits civiques si les enseignants baissent les bras ? » Larry Stack est justement le syndicaliste qui organise le mouvement de grève contre l’état d’urgence décrété par le gouvernement du NAP qui a pris le pouvoir en Irlande. Larry disparaît à l’issue de manifestations violemment réprimées, acheminé vers un camp de détention inconnu. Désormais c’est par les yeux de son épouse, Eilish, que nous suivrons l’histoire de l’installation de la dictature, de la résistance qui s’organise, de la guerre civile qui éclate, des combats dans Dublin, et de la fuite désespérée d’Eilish avec son bébé et Molly sa fille adolescente.


 

L’Irlande prospérait et un jour une brisure s’est produite. La dictature s’est installée dans le pays pour des raisons peu précisées ; il est seulement question d’une crise intérieure et de l’arrivée au pouvoir d’un parti nationaliste. On n’en saura pas plus des références idéologiques de l’affaire sinon par des indices qui pointent vers le populisme. Manifestement l’auteur ne s’intéresse pas à la complexité des événements politiques non plus qu'au contexte historique. Il préfère en décrire les impacts sur la vie quotidienne d’une famille de Dublin, en suivant minutieusement les faits et gestes d’une mère de quatre enfants employée dans un laboratoire de microbiologie.


 

On assiste au lent déclin des libertés et à la montée du chaos. La famille devait s’envoler pour le Canada et passer les vacances de Pâques chez Áine la sœur d’Eilish. Ce projet tombe à l’eau. Quand la situation s’aggrave en Irlande la sœur d’Outre-Atlantique cherche à faciliter l’émigration de la famille Stack. Eilish s’y oppose autant qu’elle peut pour garder sa famille dans sa maison, rester dans son quartier et continuer le métier qui lui plait. Et puis il y a son père, atteint de la maladie d’Alzheimer, mais encore assez lucide pour les inviter à émigrer. C’est aussi l’intention d’Áine qui s’efforcera de les aider. Or la situation empire. Déià privée de son mari, Eilish voit son fils aîné rejoindre les rebelles, et tremble pour son cadet.


 

En mettant Eilish au centre du récit, l’auteur a délibérément écarté une narration complète surplombant les événements. Il a choisi une écriture modeste, parfois terre à terre, qui rend parfaitement compte de la montée de l’angoisse. Jamais aéré, le texte est toujours dense, multipliant les verbes et évitant les adjectifs qualificatifs, d’où une intensité encore accentuée par l’absence de tirets et de paragraphes dans les conversations : tout s’acccumule donc, dans les rêves et cauchemars d’Eilish, comme dans la réalité tragique. Cette catastrophe personnelle, familiale et nationale comme il s’en passe en Syrie depuis une décennie, ou en Ukraine, pourrait aussi bien se produire ici. Dans ce roman publié en 2023, l’auteur originaire de Limerick a semble-t-il voulu donner un avertissement à son public occidental. On ose espérer que l'avenir n'en fera pas un prophète.


 

En fait, il n’y a ni chant ni prophète dans le roman. Le titre est attirant et on en cherche longtemps l’explication. Il est extrait d’une phrase des dernières pages. Même sans son beau titre, Le chant du prophète m’a paru infiniment supérieur à l’ouvrage précédent de Paul Lynch, Au-delà de la mer, ...qui ne respirait pas davantage la gaieté !


 

Paul LYNCH : Le chant du prophète. - Traduit par Marina Boraso. Albin Michel, 2025, 292 pages. [Prophet Song, Oneworld, 2023].

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE, #IRLANDE
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