/image%2F0538441%2F20250206%2Fob_313c07_benameur.jpg)
Tout comme dans La patience des traces, le précédent roman de Jeanne Bénameur, la mer et la nage donnent au récit son horizon et son sens. L’autrice imagine l’avenir de Paul et de la femme — Marie, jamais nommée — après la descente de Croix. Elle convoque parfois l’iconographie pour mieux saisir la nouvelle naissance de ces deux figures bibliques. Son écriture dense et puissante n’est pas sans poésie.
Après « la grande souffrance » de la Crucifixion, « quand tout a eu lieu », Marie et Jean partagent la même peine et vivent leur renaissance: aux côtés du fils leurs vies ne leur appartenaient pas. Jeanne Benameur les imagine désormais libres de construire leur avenir: « chacun fait sa route ». Dans un village en bord de mer la femme seule et pauvre se souvient de ce fils qui ne souriait jamais, de ce bébé distant auquel elle n’a pu redonner vie après la mise en Croix. Sa force intérieure tient à la lecture des rouleaux de son « vieux maître » et à l’écriture sur le sable, les pierres ou le dernier rouleau resté vierge. Elle que l’on a arrachée à l’étude pour être « la mère qui s’effacerait devant le fils », elle entre en résilience en vivant et en écrivant « les histoires des uns et des autres ». Elle « vit tout bas », dans l‘empathie et le don d’elle-même. Par les mots elle parvient à donner la vie une seconde fois à son fils. L’écriture est aussi une thérapie pour une petite fille anonyme que Marie aide à surmonter sa peine : victime d’un naufrage, elle a vu périr sa mère. Traumatisée, devenue muette, ce sont les mots que la femme lui fait découvrir qui l’aident à se reconstruire. Pour envisager son avenir Marie doit se réincorporer ; c’est le sandalier qui l’initie au désir et en la déflorant la rend pleinement femme.
Paul, lui aussi, vit « tout bas ». Il protège la femme comme le fils le lui a ordonné, lui offre des fruits et son amour. Libéré lui aussi il n’est plus le pêcheur de poissons ; c’est seul qu’il décide de se construire un bateau: il sera « pêcheur d’hommes », attristé de la perte du fils mais heureux de se construire sa vie. Après avoir été raptés par le fils, Marie et Jean se retrouvent seuls, responsables d’eux-mêmes et naissent à « la joie qui ne prendra jamais la place de la peine ».
Comment devenir soi-même et reconquérir sa liberté lorsque l’on a été sous l’emprise d’un maître vénéré ? Dans cette superbe allégorie Jeanne Benameur invite à la méditation grâce à l’écriture, l’amorce de toute résilience.
• Jeanne Benameur : Vivre tout bas. - Actes Sud, 2025, 192 pages.
Chroniqué par Kate