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La romancière néo-zélandaise née en 1940 s’est inspirée d’un fait divers pour cette œuvre qui se situe à cheval sur plusieurs sujets : l’émigration britannique, la société néo-zélandaise dans les années 50, le procès d’un assassin et la peine de mort.
Albert Black est le fils d’un couple d’ouvriers de Belfast, luttant contre la pauvreté dans le quartier de Sandy Row au point de rêver d’émigrer vers un pays neuf. La situation conflictuelle entre catholiques et protestants orangistes contribue aussi à expliquer son départ car son père s’irrite de sa fréquentation de jeunes catholiques. Sur le bateau qui l’emporte dans l’hémisphère Sud beaucoup de passagers s’avèrent être des jeunes orphelins de guerre ou des adolescents abandonnés par leur famille. Cette immigration de jeunes bras est une aubaine pour les fermiers et les entreprises de travaux publics et du bâtiment. Débarqué à Wellington à l’âge de18 ans, Albert se lasse vite de réparer le réseau de lignes électriques et à la veille de ses vingt ans on le retrouve vivotant de boulots précaires, descendant des pintes de bières avec ses copains, et surtout soucieux de draguer les filles dans les bars d’Auckland, la capitale économique, et de les inviter dans son lit.
“La Vieille Grange” est le lieu de ralliement de la jeunesse de la grande ville. Albert y côtoie les Teddy Boys élégants à l’excès, et les jeunes aux tenues décontractées, widgies et bodgies. La société néo-zélandaise, conservatrice et moralisatrice, dénonce la décadence morale de cette jeunesse et l’attribue à l’influence délétère de la culture populaire américaine. Les romans de Mickey Spillane en seraient le vecteur avec son héros Johnny McBride. Ce personnage de papier est justement le modèle de l’anglais Alan Jacques, ami puis rival d’Albert Black, qui lui doit son surnom, l’autre étant péjorativement surnommé Paddy puisque irlandais. Entre les deux jeunes hommes la tension se cristallise sourdement autour de la question de leur logement dans une pension de famille et ouvertement autour de Rita, la jeune sténodactylo follement émancipée. Et puis un lendemain de fête Albert poignarde Johnny.
Le procès qui en découle, sans que Kathleen la mère d’Albert puisse venir y assister, et sans que l'enquête ait vraiment creusé les faits, sert d’ossature à la narration. La présentation des membres du jury, de l’avocat d’Albert Black, et des magistrats permet à l’autrice de donner au fil des audiences une description contrastée de la société locale — et de ses préjugés. Cela inclut la présentation de la prison et de son aimable personnel (mais oui ! ). Le roman aborde ainsi la question de la peine de mort, alors abolie et rétablie selon les changements des gouvernements locaux encore soucieux de leur relation avec Londres, Commonwealth oblige. Globalement c’est un voyage dans le monde britannique de 1955.
• Fiona KIDMAN : Albert Black. - Traduit par Dominique Goy-Blanquet, Sabine Wespieser éditeur, 2021, 347 pages. [This Mortal Boy, Penguin Random House, 2018]. Réédition Points en 2023.