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Ettore Schmitz, riche commerçant triestin, a pris le pseudonyme d’Italo Svevo pour publier Una Vita en 1892, Senilita en 1898 et enfin La Coscienza di Zeno en 1923. Ce roman devenu un classique du XXe siècle n’a été complètement traduit en français qu’en 1954.
Zeno, bourgeois de Trieste
L’histoire de Zeno Cosini nous emmène à Trieste où il vit de ses rentes puisque Olivi, le fondé de pouvoir que son père à imposé, gère sa maison de commerce. Il aura donc tout le loisir, outre ses carnets intimes, de s’occuper à tenir les comptes de son beau-frère Guido quand celui-ci fonde à son tour une entreprise après ses études en Angleterre. Comme Trieste est le grand port austro-hongrois, le seul sur la Méditerranée, on y commercialise un peu de tout. Au fil du roman on entendra parler de sulfate de cuivre, de cigarettes de contrebande, de fruits secs et de bois. Zeno, son beau-frère Guido et quelques personnages secondaires fréquentent la Bourse de commerce : on retient qu’ils ont spéculé sur des actions Rio Tinto à la veille de la guerre. En 1915, l’entrée en guerre de l’Italie contre l’Autriche-Hongrie, son ancienne alliée, crée un nouveau contexte commercial : Zeno fait alors fortune en achetant toutes sortes de marchandises y compris de l’encens, qu’il revend avec un bénéfice considérable.
Zeno et la chronique familiale
Vers la fin du roman, en 1915, la guerre sépare Zeno resté à Trieste de son épouse et de ses enfants fuyant la guerre et partis s’installer à Turin. C’est à ce moment-là que Zeno expédie ses notes manuscrites à son psychanalyste réfugié en Suisse et qui les lui demande. Les cahiers que remplit Zeno constituent une sorte de confession depuis son enfance jusqu’à la guerre. Malade imaginaire permanent, Zeno organise ses souvenirs autour d’un thème général : arrêter de fumer, et de séquences de sa vie : la mort de son père, le mariage avec Augusta Malfenti, l’histoire de sa maîtresse Carla, et son association ratée avec son beau-frère Guido Speier. Imitant son père amateur de cigares, le jeune Zeno encore lycéen est devenu un gros fumeur et bientôt se pose la question d’arrêter de fumer : ce qu’il fait, mais seulement pour reprendre la cigarette sans trop tarder, et avoir de nouveau le plaisir de décider d’arrêter de fumer, et ainsi de suite. Chaque arrêt du tabac est signalé par une date notée ici ou là. Ce comportement à la fois comique et navrant est donc celui d’un velléitaire. Ce serait trop simple d’en rester à ce portrait psychologique de Zeno. La suite de ses confessions montre un homme constamment indécis, analysant sans cesse son comportement, pratiquant l’introspection, n’arrêtant pas de changer de point de vue. Et hypocondriaque en plus ! « Tu as tant parlé de maladie dans ta vie que tu devais finir par en avoir une » lui dit Augusta alors qu’une analyse médicale semble annoncer le diabète.
Zeno, entre embrouilles et complications
Après la mort de son père, événement qui est déjà l’occasion de relations tendues avec les médecins, et de sentiments de culpabilité, Zeno choisit d’épouser l’une des filles du riche négociant Giovanni Malfenti qu’il côtoie au café Tergesteum : mais il y en a quatre. Si Anna est trop jeune, restent Adeline la plus jolie (Ada dans l'édition italienne), Alberte qui aime le théâtre et Augusta que certains trouvent laide. Si cette dernière est épousée, c’est à la suite de bien des palinodies et d’incroyables retournements de situation. Charmée par un récital de violon donné par son prétendant, Adeline épouse Guido et devient la belle-sœur de Zeno, toujours amoureux en secret de la plus jolie des sœurs Malfenti. Un ami l’ayant amené à fréquenter la jeune Carla qu’ils espèrent devenir pianiste et chanteuse, voilà Zeno hésitant maintenant à tromper sa femme qu’il aime pourtant si l’on en croit ses déclarations et voulant mettre un terme à cette liaison à peine est-elle commencée et changeant d'avis peu après. Quand la fille lui préfère son jeune professeur de chant, Zeno se replie sur les bureaux de son beau-frère et de très aléatoires opérations commerciales qui menacent d’engloutir le capital que Guido détient de son père reparti en Argentine après son mariage. Au fil des heures de bureau Zeno est ainsi amené à s’apercevoir que Guido trompe sa femme avec sa secrétaire et à assister à sa fatale déroute financière. Toujours sa conscience le torture, qu’il s’agisse de son amour-amitié impossible avec Adeline, de sa fidélité à sa femme exemplaire ou de sa relative complicité avec Guido. C’est à en devenir malade. C’est pourquoi il consulte un psychanalyste, le docteur S.
Zeno et le psychanalyste
Déprimé par la mort de Guido et le départ d’Adeline pour l’Argentine où elle rejoint son beau-père, Zeno a donc suivi une analyse. Pourtant il conteste la méthode freudienne et s'en moque, refuse de considérer le b-a-ba que lui assène le Dr S., nie avoir souhaité la mort du père et avoir désiré coucher avec sa mère. D'autre part, Zeno s’en prend aux images de l’enfance que le psychanalyste lui fait retrouver, considérant que ce sont des inventions de l'instant, si bien que quand l’analyste lui dit de manière persistante qu’il est guéri Zeno refuse de le reconnaître. S’il est guéri il pense que c’est que la guerre lui amène enfin de bonnes affaires… et ; ajouterai-je, qu’Adeline est trop loin pour le tenter.
Difficile au lecteur de ne pas s’énerver en assistant aux tergiversations de Zeno, et en même temps comment ne pas rire parfois de ses revirements. En fait il faudrait compatir à cet anti-héros : ses valses hésitations étaient une souffrance. Ainsi La Conscience de Zeno est devenu un classique de la littérature psychologique, un ouvrage pionnier qui rompt avec les solides héros du XIXe siècle.
• Italo SVEVO : La Conscience de Zeno. Traduit de l’italien par Paul-Henri Michel. Gallimard, 1954, 367 pages. Existe en Folio et en Livre de Poche.