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Un demi-millénaire s'est écoulé depuis qu'Érasme a publié sa Stultitiae laus — littéralement Louange de la sottise et improprement Eloge de la Folie — mais la bêtise ou stupidité n'en reste pas moins toujours d'actualité après des siècles de “progrès”. Bêtise ? Sottise ? Stupidité ? Imbécillité ? Ânerie ? On en aligne plus facilement des synonymes qu'on en établit une stricte définition. Olivier Postel-Vinay le reconnaît d'emblée : « notion évanescente, difficile à dissocier d'un jugement subjectif ». Ça n'a pas empêché l'auteur de se lancer courageusement (ou avec inconscience ?) à l'assaut de la bêtise contemporaine, tel Don Quichotte contre les moulins, quitte à risquer « un effet boomerang » : — Vous dites que c'est bête, c'est seulement que ça ne vous plait pas !

 

Au fil des 25 courts chapitres de l'essai on le suit souvent avec jubilation, écartant la « bêtise bête » née de l'ignorance crasse, pour viser plutôt la « bêtise savante » ou « bêtise intelligente », celle de personnages connus des lettres, des sciences et des arts, et dénoncer la bêtise de bien des dogmes, des idéologies, des croyances. Quelques exemples suffiront. Le tour du monde de la bêtise passe par le “platisme” avec son premier Congrès international réuni en Caroline du nord en 2017, et les milliers de vidéos de You Tube qui confortent les 16 % de nos concitoyens de 18 à 24 ans qui croient que la Terre n'est pas sphérique mais plate. Mais les choses plus sérieuses suivent avec la dénonciation des sottises des livres sacrés des religions, de la xénophobie et du nationalisme radical, de l'esprit moutonnier générateur de modes et de mèmes. Participent bien sûr à ce panorama les tendances à la mode comme l'idéologie antispéciste, la théorie du genre, la cancel culture, l'écologisme radical, l'idéologie de la décroissance, le transhumanisme, sans oublier certaines dérives de l'art contemporain. À la suite du neuroscientifique Michel Desmurget et de sa fameuse Fabrique du crétin digital, notre essayiste s'en prend évidemment à l'usage des réseaux sociaux comme TikTok, vecteurs de fake news en quantité industrielle et susceptibles de provoquer « une lobotomie de masse » dans le public à commencer par les digital natives. Sans doute pour être équitable entre les générations, l'auteur n'hésite pas à revenir aux années de sa jeunesse estudiantine quand ses semblables suivaient, crédules, des gourous maoïstes ou de prétendus « philosophes » vénérés dans les campus d'outre-Atlantique sous l'étiquette de French theory.

 

On sait que Olivier Postel-Vinay a mené une remarquable carrière dans la presse scientifique : rédacteur en chef du magazine La Recherche, fondateur de Books, membre du comité scientifique de L’Histoire. Aussi les chapitres tournés vers les sciences appellent-ils une attention particulière de notre part. Le fait est qu'il fait mouche quand il évoque, outre la presse obsédée par le sensationnel, le « fétichisme des chiffres », les rapports absurdes des prévisionnistes, et les économistes noyés dans leurs modèles mathématiques. Surtout, il s'insurge contre un fléau qui touche les publications scientifiques, notamment en médecine et biologie. Depuis que les chercheurs sont évalués au nombre de leurs publications, l'augmentation d'articles mal étayés, inutiles, voire trompeurs pose question. Le mal va de la fraude sur des essais cliniques insuffisants ou truqués au « militantisme académique » quand le chercheur confond la recherche scientifique avec ses préférences idéologiques.

 

S'il n'appartient pas aux catégories susvisées, le lecteur s'amusera du fantastique tour d'horizon entrepris par Olivier Postel-Vinay. Pourtant le célèbre proverbe « qui trop embrasse mal étreint » pourrait s'appliquer à cet essai qui est avant tout un pamphlet. Même si plusieurs ouvrages importants sont cités, il manque à certains de ces assauts des références précises ce qui oblige à de sérieuses réserves. Au bout du compte, le doute s'insinue dans l'esprit du lecteur et prétendre dresser l'inventaire universel des bêtises n'expose-t-il pas à l'effet boomerang ?

 

Olivier Postel-Vinay : Homo cretinus. Le triomphe de la bêtise. - Presses de la Cité, 2024, 329 pages.

 

Tag(s) : #ESSAIS, #ACTUALITE
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