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Extrait d'un tableau d'Alex Foxton

Plusieurs thèmes se croisent dans ce roman, et d'abord la mémoire. Martim, le narrateur, à quitté Brasilia en décembre 1972, puis s'est exilé en France, d'où, six ans plus tard il se penche sur ses souvenirs de cinq années passées dans la capitale créée sous la présidence de Kubitschek. Il s'agit pour une part d'années de formation puisque le narrateur étudie l'architecture, s'exerce à la traduction de poésies, participe à un groupe qui fonde une revue littéraire d'avant-garde avec son ami Fabius, et découvre l'amour avec Dinah. Mais le lieu et l'époque pointent aussi vers l'expérience de la dictature militaire, de la répression du mouvement étudiant qui touche les amis de Martim tandis que lui-même se tient relativement à l'écart de leur engagement. Tout le groupe ayant été dénoncé, Martim fuira le District Fédéral puis le Brésil.

 

Le titre reflète encore autre chose, de très intime. Assez violente, la séparation des parents de Martim change sa vie. Lina, sa mère, l'abandonne à son père pour aller vivre dans le Minas Gerais avec un artiste peintre ; elle lui écrit irrégulièrement et ne lui communique pas sa nouvelle adresse. Martim a donc suivi son père à Brasilia où il travaille comme ingénieur à Novacap, l'agence publique chargée du développement de la ville nouvelle. Martim rêve de retrouver sa mère, de la tenir dans ses bras, de lui parler. Une première rencontre clandestine entre eux est prévue à Goîas, mais la mère ne vient pas. La nuit d'attente est mise à profit pour lire l’Éducation sentimentale de Flaubert. À la longue, la voix de Dinah se confond avec la voir de Lina. Leurs visages aussi.

 

L'incompréhension grandit entre le père, très conservateur, et le fils qui fréquente des étudiants hostiles au pouvoir militaire. Le père déménage pour vivre avec sa nouvelle femme que Martim ne rencontrera qu'assez tard. Le narrateur, chassé de l'ancien logement paternel, navigue donc d'un hébergement à l'autre, couchant chez ses amis, voire leurs parents. Il sympathise ainsi avec Faisão, un ambassadeur tombé en disgrâce du fait de l'arrivée au pouvoir des généraux, Costa e Silva, puis Medici. « Un Medici qui ne connaît pas le Caravage ! » plaisante l'ambassadeur qui conseille à Martim de ne pas s'attarder à Brasilia et de retourner à São Paulo où vit sa grand-mère. Celle-ci et son frère, l'oncle Dacio, servent de boîte aux lettres entre Lina et son fils. Martim attend des nouvelles de sa mère, l'absence le perturbe, le ronge.

 

J'ai aimé la présentation du désarroi de Martim, et goûté l'évocation de Brasilia, ville nouvelle à peine sortie de la forêt, marquée par une architecture d'avant-garde et un urbanisme pesant.

 

Milton Hatoum : La Nuit de l'attente - Traduit par Michel Riaudel. Actes Sud, 2021, 252 pages. (A noite de espera, Companhia das letras, São Paulo, 2017).

Premier volume de la série de la trilogie du Lieu le plus sombre (O lugar mais sombrio).

Couverture de l'édition originale où l'image du rameur fait écho à un épisode de la vie de Martim, arrêté pour avoir ramé sur le lac jusque devant le palais présidentiel un jour de manifestations d'étudiants contre les généraux au pouvoir. L'affaire déclenche la rupture entre le père et le fils...

 

Tag(s) : #LITTERATURE BRESILIENNE
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