Écrivaine, Gyeongha habite Séoul. Elle a fait la connaissance d'Inseon quand elle était journaliste et avait besoin d'une photographe pour ses reportages. Elles sont restées proches une fois achevés ces travaux pour le magazine. Inseon s'est spécialisée dans des films documentaires où des femmes témoignent des violences de guerre et s'occupe aussi à fabriquer des meubles en bois pour gagner sa vie. De son côté Gyeongha a entrepris d'écrire un nouveau roman alors que des cauchemars morbides et insistants l'assaillent, échos de conflits passés. Les deux amies ont projeté une sorte de mémorial constituée de troncs d'arbres peints en noir en souvenir de ces victimes. Inseon, dont l'atelier est situé en pleine nature sur l'île Jeju, a commencé à réunir le matériel pour ce projet.
Au service d'une amie
Or voilà que par mail Inseon demande à son amie de la rejoindre à l'hôpital de Séoul où elle a été transportée suite à une blessure causée par la manipulation maladroite d'un outil tranchant. Surprise, Gyeongha entend son amie lui dire de se rendre immédiatement dans sa maison de Jeju pour prendre son soin de son perroquet. Gyeongha part sur le champ — avion, bateau, bus — et affronte une forte tempête de neige à l'arrivée dans l'île. Elle s'égare dans la nuit, perd son portable, se blesse au visage, et parvient, toute transie de froid, à retrouver finalement l'atelier et le logement de son amie. Mais c'est trop tard pour le perroquet... Alors que la tempête bat son plein et que l'électricité est coupée, commence pour la narratrice une longue rêverie ambiguë où le réel s'efface derrière l'onirique, où la neige donne une atmosphère poétique, où le perroquet semble revivre et l'amie blessée paraît surgir saine et sauve au côté de la narratrice et lire avec elle des coupures de presse qui parlent de camps de prisonniers, de fusillés, de villages brûlés. Plusieurs membres de la famille d'Inseon sont concernés.
Un impossible oubli
Comme dans Celui qui revient, Han Kang commémore des massacres, non pas ceux de Gwangju en 1980, mais d'un épisode plus ancien de l'histoire coréenne... Le 3 avril 1948 une grande partie de la population de l'île de Jeju s'est soulevée contre le régime dictatorial de Syngman Rhee qui l'a qualifiée de « rouge ». La répression a été d'une barbarie sans nom, se prolongeant jusqu'à l'année suivante. D'innombrables arrestations ont été effectuées bientôt suivies de l'exécution sommaire de dizaines de milliers de personnes. Les corps ont été entassés dans des galeries de mines. Et puis la guerre de Corée a commencé. Une association de parents des victimes du drame de Jeju s'est constituée après l'armistice et a amassé une importante documentation. Ce sont ces témoignages, lettres et articles de presse, que la mère d'Inseon a conservés dans sa maison. En l'absence de son amie, qu'elle imagine cependant présente à ses côtés, Gyeongha prend connaissance de cette histoire terrible qui s'ajoute aux cauchemars répétés qui la hantaient au début du récit. Et la neige continue de tomber à gros flocons... sans que l'issue de l'aventure de ces deux femmes ne s'esquisse.
L'attribution du prix Nobel à une Coréenne était l'occasion de découvrir une autrice encensée dans son pays. J'avoue qu'il y a de belles scènes poétiques dans cette histoire à la fois poignante et un peu farfelue, mais ce sont principalement les considérations sur l'histoire sanglante du pays qui m'ont amené à lire le roman jusqu'au bout. Il est clair qu'un abandon en cours de route est possible et ne me choquerait pas.
• Han Kang : Impossibles adieux. - Traduit par Kyungran Choi et Pierre Bisiou. Grasset, Prix Médicis étranger 2023. (작별하지 않는다 , 2021).