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Ceci n'est pas un roman !” dois-je d'abord avertir les potentiels lecteurs de ce bouquin attachant mais étrangement ficelé.

D'une part quatre sections groupent 125 paragraphes inspirés par l'exil berlinois, de brèves rencontres avec des artistes de différents pays attirés par un Berlin à peine réunifié, des bribes de conversations avec des réfugiés de la Yougoslavie explosée dix ans après la mort de Tito, des babioles tristes des régimes défunts — nazisme et communisme— à saisir pour deux ou trois marks sur les puces de Berlin soldées par des Pakistanais, des Tsiganes, des Turcs, des Bosniaques...

D'autre part trois parties plus longues, plus écrites, célèbrent la mère bulgare dans son refuge yougoslave de 1945, puis détaillant les désillusions de la fille croate exilée par force en 1993, victime d'avoir condamné l'essor du nationalisme dans son pays, son ex-pays, et maintenant tragiquement séparée de ses amies restées en Croatie, à Belgrade, ou à Sarajevo assiégée, amies dont certaines lui ont tourné le dos.

 

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« Les réfugiés se divisent en deux catégories : ceux qui ont des photos et ceux qui n'en ont pas » lui explique un exilé bosniaque. Même s'il n'y en a qu'une dans la valise de Dubravka, les photographies ont un poids évident dans ce “roman”. Ce sont d'abord les albums que la mère passe du temps à organiser, à réorganiser, les sauvant des tiroirs où elles restaient en vrac. Ces images témoignaient de l'heureuse installation de la jeune épouse bulgare venue rejoindre en Yougoslavie le combattant communiste qui l'avait séduite à Varna sur la mer Noire, le couple s'installant dans cette petite ville de Kutina salie par la pétrochimie, leur enfant se souvenant des « premières fois en Yougoslavie », qu'on lui a racontées, ou qu'elle a vécues. On passe ainsi en revue les équipements ménagers de ce temps qu'ailleurs on a baptisé Trente Glorieuses. Dubravka imagine aussi qu'elle se souvient d'une photo surexposée, à moins que ce ne soit un rêve, où ses amies réunies — toutes intellectuelles de Zagreb — auraient eu la visite d'un ange qui avant de disparaître dans la nuit leur aurait laissé en cadeau une plume à chacune, mais pas à elle. Et elle, Dubravka, doit prendre en charge le grand mensonge de l'écriture romancée, seule forme de mensonge qu'elle accepte.

 

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« Nous sommes tous ici des pièces de musée » lui dit Zoran, érigé en porte-parole des réfugiés d'ex-Yougoslavie. Notons que le titre du livre de Dubravka Ugrešič vient de la visite d'un éphémère musée des troupes russes occupant Berlin suite à la victoire de mai 45. Objets de brocante, photos abandonnées ou pieusement gardées, ce sont autant de supports de sa nostalgie — la Yougonostalgie — des supports de la mémoire personnelle et collective. En ce sens, ce livre me rappelle En mémoire de la mémoire de Maria Stepanova, autre construction originale de la génération d'après, ou bien certains ouvrages plus anciens de W. G. Sebald... Née en Croatie en 1949 l'auteure a enseigné la littérature à Zagreb puis dans diverses universités d'Europe et d'Amérique. Exilée, elle dénonce les nouvelles frontières et le mensonge du nationalisme dans un essai non traduit en français, (The culture of lies : antipolitical essays, Phoenix House, London, 1998) ce qui lui a valu d'être qualifiée de traître et de sorcière dans son ancien pays où l'on brûla ses livres... Elle est décédée à Amsterdam en 2023.

 

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Curieusement, le succès littéraire suivant de Dubravka Ugrešič s'appelle « Ceci n'est pas un livre... »

 

Dubravka Ugrešič : Le musée des redditions sans condition. Traduit du croate par Mireille Robin. Fayard, 2004, 349 pages [1996]. Réédition Christian Bourgois, 2020.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE CROATE, #BALKANS
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