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Dans certaines régions les initiatives locales s'efforcent de mettre en valeur le parcours des grandes routes romaines, notamment la Via Domitia dans l'ancienne Narbonnaise. Tel n'est pas le cas de la Via Appia, uniquement visitée dans la banlieue de Rome : c'est inquiétant pour l'avenir du patrimoine du Mezzogiorno. Paolo Rumiz en administre la cinglante démonstration dans ce livre qui est d'abord une aventure d'un petit groupe d'amis décidés à explorer sur place, à pied, la route de Rome à Brindisi telle qu'Appius Claudius Caecus l'avait mise en chantier vers 300 avant J.-C. La première section qui mène jusqu'au cœur de la Campanie, où Capoue était la cité alliée de Rome, avait été réalisée sous la direction de ce célèbre homme politique romain et la suite menant jusqu' à Tarente et Brindisi le fut environ un siècle plus tard.

 

Au printemps 2015 l'écrivain-voyageur et célèbre journaliste de La Repubblica se lance dans cette entreprise de découverte avec un groupe d'amis randonneurs et de spécialistes de la cartographie. Ils la parcourront de Rome à Brindisi. Jusqu'au XVIIIe siècle la Via Appia est restée lisible dans le paysage, avec ses 4 mètres de large, ses solides pavés (basolati, son trottoir (crepidine), ses bornes miliaires, ses fontaines et ses relais. Cependant depuis des siècles elle servait çà et là de carrière où piocher des matériaux de construction pour des fermes ou des églises. Mais c'est surtout depuis 1950 que les travaux publics, les infrastructures ferroviaires et routières, les exploitations agricoles et même les supermarchés ont coupé sa continuité, recouvert et fait disparaître ses pavés jadis parcourus par le poète Horace, les marchands et les légionnaires. Cela s'est fait au nom de la modernisation du Mezzogiorno, par insouciance ou mépris de l'héritage antique.

 

Ces mutilations contemporaines exaspèrent Paolo Rumiz, or les témoins locaux qu'il rencontre sont loin de partager cette opinion. Déjà, près de Capoue, on le lui déclare clairement : «  Ici, les antiquités on ne sait plus quoi en faire. » Et plus loin, passée la Campanie, les plaintes s'accumulent. « Le problème, c'est qu'ici, dès qu'on touche à un mur, il arrive un archéologue qui arrête tout. On n'en peut plus. » Les responsables de musées, au contraire, sont fiers de leurs collections issues des fouilles locales : « Le musée archéologique n'est pas une pinacothèque, les tableaux ne sortent pas de terre. On ne peut évincer l'archéologie au nom du business... » lui affirme-t-on au musée de Bénévent.

 

Wikipedia, page "Via Appia" — En rouge la Via Appia, en bleu la Via Traiana, plus tardive. — Extrait d'une carte de William R. Shepherd, 1911.

 

Pour cette expédition qui souvent doit retrouver les traces cachées de la Via Appia, toute une compilation de cartes a été nécessaire et il rend hommage aux cartes au 1/25 000 de l'Institut géographique militaire d'Italie, une réalisation antérieure aux grandes mutilations de l'après-guerre. La « patrouille » de Paolo Rumiz utilise aussi les moyens les plus récents de la technologie et donc le GPS qui leur permet de garder le cap. Ça n'empêche pas Rumiz, toujours critique envers le “progrès” d'ironiser sur la soumission aveugle à la technologie. « Aujourd'hui, se déplacer en utilisant des cartes en papier équivaut à faire acte de désobéissance civile... » Ou encore : « Le GPS n'a pas seulement tué le sens de l'orientation. Il a aussi bloqué notre faculté d'expliquer, surtout au téléphone, la route à suivre à ceux qui nous demandent des renseignements... » C'est que Paolo Rumiz se fait moraliste, considérant qu'avec le GPS (et l'écran du portable) homo sapiens s'est transformé en « une espèce humaine qui s'est remise à marcher penchée en avant, façon Néandertal, et qui ne lève plus jamais les yeux ni vers ses semblables, ni vers le paysage. » Par contraste les pages de ce récit montrent combien Paolo Rumiz est à la fois un vrai humaniste et un bon observateur du paysage.

 

Paolo Rumiz et ses amis veulent ouvrir la voie, rouvrir la Via Appia aux excursionnistes et aux amoureux de l'Antiquité, pousser les gardiens du patrimoine à se réveiller et forcer les responsables locaux à agir. Ils le font savoir autour d'eux et la rumeur de leur croisade se propage d'où des réactions plus souvent dubitatives que confiantes. « Ici, pendant des siècles, l'Appia n'a été qu'un creux tapissé de pierres pour construire des maisons de campagne. C'est une bataille perdue que la vôtre. » Et pire : « Ici, tout ce qui est public finit par être volé. » L'auteur italien veut pourtant croire à un sursaut patriotique !

 

L'arrivée à Brindisi, marquée par la baignade du groupe, n'est pas la fin du projet. Le récit de Paolo Rumiz est suivi d'un guide reprenant pas à pas les vingt-neuf étapes en décrivant au plus près le tracé de la Regina Viarum. L'ouvrage ne comportant pas de carte, je recommande OpenStreetMap pour visualiser les lieux de cette aventure.

 

Paolo Rumiz : Appia. - Traduit Béatrice Vierne. Arthaud, 2019, 514 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ITALIENNE, #ANTIQUITE ROMAINE, #VOYAGES
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