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La ville de Trieste est apparemment chérie des dieux de la littérature : Vladimir Bartol, Claudio Magris, Boris Pahor, Pino Roveredo, Umberto Saba, Giani Stuparich, Italo Svevo, Susanna Tamaro y sont nés et c'est aussi le cas de notre Paolo Rumiz. Connu comme écrivain-voyageur, ce dernier a principalement parcouru l'Italie et l'Europe. Cet ouvrage retrace sa quête passionnée des souvenirs et des légendes laissées par Hannibal (247-183 av. J-C), le général carthaginois qui s'est opposé aux Romains durant la deuxième guerre punique.

 

L'ouvrage n'est ni une biographie du chef de guerre ni une étude détaillée du conflit mais une promenade érudite, critique et poétique sur les pas d'Hannibal. Après une présentation de l'importance de la civilisation carthaginoise suggérée par l'île Sant'Antioco en Sardaigne, l'auteur de rend à Carthagène pour entreprendre son pèlerinage. C'est là que tout commence quand Hannibal Barca est nommé à la tête de l'armée punique en 218 av J-C. À chaque étape Paolo Rumiz cherche des témoins pour s'approcher au plus près de la réalité sur le terrain. C'est ainsi que de nombreux universitaires, archéologues ou historiens dont un spécialiste d'Hannibal comme Giovanni Brizzi, ou de simples amateurs éclairés, des officiers de l'armée, des guides, des commerçants ou même un chauffeur de taxi vont accompagner et aider le voyageur.

 

Le passage des Pyrénées, la traversée du Rhône et le franchissement des Alpes suscitent les interrogations du voyageur, particulièrement curieux de comprendre comment les dizaines d'éléphants ont pu franchir les fleuves et les cols alpins. L'auteur s'empare des textes de Polybe et Tite-Live, s'interroge devant la carte qui semble contredire les sources (bataille de la Trébie), recherche confirmation de ses hypothèses auprès des chercheurs. La traversée de la Toscane, la bataille du lac Trasimène, le contournement de Rome, l'invasion de la Campanie — qui alimentait Rome à cette époque — forment ainsi les grands moments dans ce récit. La bataille de Cannes, la plus désastreuse des batailles pour les Romains victimes de l'encerclement par la cavalerie punique, provoque des doutes concernant sa localisation habituelle, fixée en 1938 par un zélote de Mussolini. Hannibal passera encore une dizaine d'années dans le sud de la péninsule, à Capoue et ailleurs, sans obtenir la reddition des Romains. Si l'aventure militaire d'Hannibal se termine par la défaite à Zama en 202 dans l'actuelle Tunisie, le périple n'est pas fini pour l'auteur. Il suit Hannibal qui s'exile en Crète, en Orient. Le chef de guerre s'y suicide à 64 ans pour échapper à l'extradition que les Romains exigent du roi de Bithynie. Paolo Rumiz termine sa course mémorielle à Gebze, non loin d'Istanbul, où Mustapha Kemal a fait ériger en 1934 le seul monument commémoratif du leader punique au tombeau disparu.

 

Le plus étonnant peut-être dans ce livre de voyage est la découverte de l'omniprésence d'Hannibal dans la toponymie d'un bout à l'autre de l'Italie. Ce sont des ponts, des lieux-dits, des commerces qui portent le nom du Carthaginois. C'est assez dire le choc que fut pour les citoyens de Rome l'invasion et la série de défaites puisque la marque subsiste après deux millénaires. Paolo Rumiz s'enthousiasme régulièrement pour la civilisation de l'Antiquité, tout à la fois grecque punique et romaine, avec tous les dieux et héros du paganisme, à côté de quoi, en moraliste, il se moque assez cyniquement de « la nullité de notre époque » qui, il est vrai, ne voit plus les éléphants traverser nos fleuves et nos montagnes.

 

Paolo Rumiz : À l'ombre d'Hannibal. Traduit par Béatrice Vierne. Hoëbeke, 2012, 234 pages.

 

 

Tag(s) : #ANTIQUITE ROMAINE, #LITTERATURE ITALIENNE
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