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S'il fallait d'une phrase situer ce roman qui passe pour le plus réussi de Milton Hatoum, ce pourrait être : Comment devenir un artiste quand on a un père chef d'entreprise, strict au point de ne vivre que pour le travail, et proche des militaires au pouvoir ? C'est globalement un roman sur l'amitié, sur l'art et sur les embrouilles familiales.
L'action du roman se déroule au cœur de l'Amazonie, dans le contexte de la dictature militaire des années 1964-1985. Les militaires tiennent le haut du pavé, et l'un d'eux, Zanda, devenu maire entend faire de Manaus une vraie métropole. Milton Hatoum qui en est originaire donne à sa ville l'importance d'un personnage à part entière.
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En bons termes avec les officiers, Trajano Mattoso (dit Jano) est l'un des principaux hommes d'affaires de la ville, il possède Vila Amazonia, une plantation de jute à Parintins en aval de Manaus, sur laquelle travaillent des caboclos et des immigrés japonais. Poursuivant l'œuvre de son père il entend appliquer la devise qui figure sur le drapeau du pays : Ordem e progresso. Autrement dit, il désire que son fils unique, Raimundo, réussisse des études pour prendre sa suite.
Mundo, ainsi que tous l'appellent, hait les militaires, ne s'intéresse ni au jute, ni au commerce et préfère le dessin — ce que sa mère, Alicia, approuve. Mundo est en conflit permanent avec son père qu'il appelle par moquerie l'empereur Trajan. Apparemment Jano lui préfère son chien Fogo. « Un père ne peut pas aimer son chien plus que son fils » note le narrateur indigné. Mundo est chouchouté par sa mère et en opposition constante avec son père Jano. Il a été élevé par Naiá la nurse qui est devenue la confidente d'Alicia et aussi l'infirmière de Jano gravement atteint par la malaria. Ils vivent dans un palais au cœur de Manaus. Alicia préfère passer des vacances à Copacabana, accompagnée de Naiá, plutôt que de séjourner à Vila Amazonia.
Mundo est la figure centrale du roman mais tout est en effet rapporté par Lavo (Olavo). Lavo et Mundo se sont connus au lycée. Lavo est son seul camarade de classe et leur amitié continue au fil du temps. Le narrateur a perdu ses parents lors d'un naufrage et a été recueilli par sa tante Ramira, une infatigable couturière, dont le frère Ranulfo vit souvent avec eux quand il est de passage à Manus. Lavo et Mundo entretiennent de bonnes relations avec Ranulfo qui a animé sur une radio locale une émission qui a cessé avec l'avénement de la dictature. Il travaille à l'occasion sur le fleuve après avoir un temps œuvré au domaine des Mattoso quand il était marié à Algisia, sœur d'Alicia. Celle-ci s'étant retrouvée à l'asile psychiatrique, Ranulfo est devenu l'amant de la sublime Alicia. Il cache cette liaison à Jano en prétendant avoir fait un enfant à une servante indienne du domaine. Alicia, est d'origine indienne mais porte le nom de Dalemer, l'homme qui l'a amenée encore gamine à Manaus, avec sa sœur Algisia.
Chassé d'un lycée après l'autre, Mundo s'est mis à fréquenter un artiste local, Arana, que son père maudit. Arana a cherché à réaliser des installations d'avant-garde, avec lesquelles Mundo n'est pas toujours d'accord, et plus tard il entend devenir une sorte d'artiste officiel de la ville, vendant aux militaires et aux Japonais des compositions exotiques. Après une brève expérience en collège militaire, et marqué par un stage commando qui a laissé des traces, Mundo décide imprudemment une installation critique et très controversée dans un quartier aménagé par le nouveau maire. Il se fait tabasser par les hommes de main de Zanda, de même que Ranulfo qui le soutenait par amour non de l'art mais d'Alicia. Après la mort de Jano, Mundo tente de suivre une formation artistique en Europe, tandis que sa mère sombre dans le jeu et l'alcool à Copacabana. Des rêves des principaux personnages il ne restera que des cendres.
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La narration, à peu près chronologique, est entrecoupée de passages de souvenirs écrits par Ranulfo, qui donnent un ton plus passionné au livre. Je reconnais avoir eu un peu de mal au début pour me repérer dans les personnages après un incipit qui anticipe bien des tragédies. « Je lus la lettre de Mundo dans un bar de la ruelle des Cancelas où je trouvai refuge contre la cacophonie du centre de Rio et les discussions sur l'avenir du pays. Une lettre non datée, rédigée tant bien que mal dans une clinique de Copacabana, d'une écriture chancelante, minuscule et tremblante, qui révélait toute la souffrance de mon ami… » C'était la lettre posthume adressée à Lavo. Cendres d'Amazonie n'est qu'on long et magnifique retour en arrière...
• Milton Hatoum : Cendres d'Amazonie. Traduit par Geneviève Leibrich. Actes Sud, 2008, 317 pages. [Cinzas do Norte, São Paulo, 2005].