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L'écrivain d'origine bolivienne, devenu professeur de littérature latino-américaine à l'université Cornell, nous place devant trois fils conducteurs qui partent d'époques différentes et qui se rapprocheront ultérieurement. Dans les trois cas l'action est à cheval sur la frontière nord du Mexique d'où il résulte à la fois le titre du roman et l'un de ses thèmes : la fragilité du destin des Latinos aux Etats-Unis. Franchir cette frontière fantasmée n'est-ce pas source de désillusions ?

 

L'histoire du premier rameau commence en 1931. Martin Ramirez a franchi la frontière pour fuir la répression de l'insurrection des Cristeros par un gouvernement mexicain fortement anticlérical. Maria Santa Ana est restée avec les filles. Il n'a pas de papiers à présenter. Il ne parle pas l'anglais, ne sait pas écrire son nom, et surtout il semble muet, voire autiste. Il se retrouve dans un hôpital psychiatrique à Stockton, Californie. Et là, naît son besoin de dessiner plutôt que de discuter ou jouer avec les autres pensionnaires dont il déplore la conduite. Des paysages du pays qu'il ne reverra pas. Des soldats, des chevaux, des trains, des tunnels, voilà ce qu'il dessine en ajoutant des collages d'images de magazines. Ses créations attirent bientôt l'attention des psychologues, puis d'un spécialiste de l'art brut...

 

Œuvre de Martin Ramirez (c. 1950)

 

La seconde branche du récit, la plus importante quant à la pagination, commence à Villa Ahumada, province Chihuahua, en 1984 ; elle met en scène Jesús, un adolescent de tout juste quinze ans, élevé par sa mère car le père est parti aux Etats-Unis, sans doute pour échapper à des fréquentations douteuses. Jesús convoite sa sœur Maria Luisa — l'inceste n'aura pas lieu mais le garçon en garde un trauma sans doute également conséquence de la violence paternelle. Ainsi voit-on se dérouler l'histoire d'un tueur en série. Elle commence avec le viol et le meurtre sauvage d'une strip-teaseuse qui s'était refusée à lui, Jesús, alors que la police états-unienne classera plus tard comme victime n°1 une Norvégienne blonde venue comme fille au pair dans une famille d'El Paso, Texas. Tant que Jesús vit chez sa mère, il travaille dans un garage ; bientôt le patron lui propose de passer clandestinement la frontière pour revenir avec des voitures volées. Jesús quitte donc Ciudad Juarez par le train de marchandises, en passager clandestin, et la plupart des crimes seront commis près des voies ferrées d'où son surnom de Railroad Killer. Jesús n'a rien d'un criminel ordinaire. Il remplit des cahiers d'écolier avec ses pensées sataniques : Kill them all ! Il se dit envoyé par l'Innommable... L'excès des crimes de Jesús attire la suspicion sur toute la communauté latina. Une partie de ses crimes est rapportée en suivant l'enquête du sergent Fernandez, lui-même immigré, et dont l'amie envisage de quitter le Texas pour le Canada. Fernandez entend participer à la chute du monstre.

 

Un immense train de marchandises progresse à vitesse réduite : Jesús saute d'un wagon, va commettre son forfait et souvent repart par le même moyen...

 

Le 3ème récit a une narratrice. En 2008, Michelle, étudiante bolivienne dans une université du Texas, navigue entre ses copines, entre Sam et Fabián un jeune professeur spécialiste de littérature latino-américaine qui l'a séduite après avoir rompu avec sa femme retournée à Saint-Domingue. Fabián n'est pas latino-américain mais d'origine italienne. Peu soucieux d'avoir des enfants, cet homme instable pousse Michelle à avorter. Dans ce milieu libre également porté sur l'alcool et la drogue, on évoque Alan Pauls et Roberto Bolaño. (« Oprah Winfrey avait choisi comme livre du mois un roman de Bolaño »). Mais Michelle, motivée par l'image, s'intéresse plus à la BD avec des zombies qu'à sa thèse, et elle projette d'écrire un roman graphique.

 

Alors quel lien entre tout cela ? L'ami de Michelle, Sam, anime une émission de radio et traite le thème des serial killers... D'autre part, une collègue de Fabián propose à Michelle d'écrire un essai sur les œuvres d'un graphiste schizophrène à l'occasion d'une exposition...

 

E. Paz Soldán, qui est lui-même un représentant du mouvement McOndo lancé en réaction au réalisme magique, maîtrise remarquablement son sujet et le traite en croisant les fils de l'intrigue et ça se dévore. Son style est souvent direct, avec un niveau de langue plus relevé chez sa narratrice que pour suivre la geste sanguinaire et ultra-violente de Jesús. On est effectivement plus près ici de Bolaño que de Garcia Marquez, le célèbre enfant d'Aracataca alias Macondo. Norte est actuellement le seul roman d'Edmundo Paz Soldán traduit en français.

 

Edmundo Paz Soldán : Norte. Traduit par Robert Amutio. Gallimard, « Du monde entier », 2014, 335 pages.

 

 

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE LATINO-AMERICAINE, #BOLIVIE
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