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Wodka ne s'intéresse guère aux livres d'actualité politique. J'ai donc fait une exception pour cet essai d'Alain Duhamel parce que le titre m'a intrigué et amusé.
Témoin et analyste de l'actualité politique française depuis quarante ans, l'auteur a publié cet ouvrage en septembre 2023. Ses propos se situent donc entre la réélection du président en 2022 et les suites des élections européennes de 2024 : dissolution de l'assemblée nationale, élections législatives, formation tardive d'un nouveau gouvernement dont l'espérance de vie semble faible ... Je me demande, en abordant ce livre, si l'auteur a pressenti les difficultés présentes.
L'auteur revient sur la réélection d'Emmanuel Macron en 2022 comme étant une « élection par défaut » vu la percée au premier tour de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Il examine ensuite les législatives de 2022 comme ne donnant au président que la possibilité d'une « présidence relative » ce qui conduit à la fragilité du gouvernement d’Élisabeth Borne. On se souvient qu'elle dut solliciter des voix à droite ou à gauche pour faire passer certains textes et utilisa abondamment le 49.3 pour les projets de la loi les plus discutés comme le budget. Cette situation devrait se répéter...
Alain Duhamel constate que les deux mandats d'Emmanuel Macron, à la différence de tous les précédents, ont été placés sous le signe de crises à répétition (Gilets jaunes, Covid-19, guerre d'Ukraine, émeutes urbaines de juin 2023…) qui n'étaient pas de son fait, mais s'ajoutaient à la crise des retraites à cause d'une réforme annoncée audacieusement dès 2017 et qui a suscité déjà deux vagues de mécontentement. L'auteur souligne — mais insuffisamment me semble-t-il — le lien entre cette question des retraites et l'endettement croissant du pays, passant bien trop vite sur les contraintes démographiques, deux choses que trop de Français semblent refuser de voir et de prendre en considération. Parler de « Gaulois (très) réfractaires » est juste : mais à Macron ou à la réalité ?
L'hostilité voire la haine suscitée par le président à l'extrême-gauche et à l'extrême-droite, l'essayiste l'explique pour partie par des « dérapages » verbaux, grandement par les médisances à l'endroit du « président des riches ». Alain Duhamel attache vraiment beaucoup d'importance aux « petites phrases » et à la question de l'image des hommes politiques, — des explications peut-être un peu superficielles ?
Une chose est sûre c'est que le chapitre 5, intitulé « dégradation de la démocratie française » tape dans le mille. Le constat est alarmant : c'est la montée de l'abstention aux élections depuis plus de vingt ans, la montée irrésistible des populismes, le dénigrement élevé en dogme, le mépris de l'autorité et de ses symboles. Ce sont les symptômes d'un mal profond, or le dernier chapitre « Après Macron, qui ? » se contente de jouer à la revue des futurs présidentiables ce qui montre la limite de cet exercice.
Depuis que ce livre (fort bien écrit) a paru, après l'illusion olympique, l'actualité électorale a fortement aggravé le diagnostic dressé par Alain Duhamel. Il s'agit maintenant d'une France ingouvernable, pas seulement à cause du caractère grognon des Français, ces éternels râleurs, mais aussi à cause d'une loi électorale devenue inopérante. Le scrutin majoritaire a deux tours fait pour alterner les victoires d'un bloc de droite ou de gauche n'est plus adapté. Il a eu l'effet pervers de détourner les députés — et par répercussion les Français en général — d'une culture du compromis et des concessions. Divisée en trois parts égales, aucune n'étant victorieuse, et chacune refusant toute ouverture, l'Assemblée nationale empêche aujourd'hui la France de se redresser.
• Alain Duhamel : Le Prince balafré. Emmanuel Macron et les Gaulois (très) réfractaires. Éditions de l'Observatoire, 2023, 262 pages.