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Ce premier roman de Rita Carelli ressemble à un roman d’apprentissage. Ana vit à São Paulo avec sa mère ; après le décès de celle-ci la fillette rejoint son père archéologue dans une zone reculée de l’Amazonie : le Haut Xingu. Alternant passé et présent l’autrice suit les transformations de l’adolescente sur cette terre où elle s’épanouit grâce aux échanges avec les Indiens. Mais c’est surtout un roman anthropologique, la formation d’Ana servant de fil rouge à la découverte des coutumes, rituels et croyances des indigènes de ces terres noires, ces « terra prata » qui fascinent les chercheurs du monde entier. Pour l’adolescente ces Indiens n’ont rien « d’exotique » puisque ce sont  ses compagnons au quotidien. Son regard n’est pas influencé par ce que les Blancs disent d’eux : elle fait l’expérience de l’altérité sans idée préconçue. Les découvertes archéologiques de son père constituent son unique livre.

 

Ana se sent vite à l’aise parmi les indigènes et se fait une amie, Kassuri, la fille du chef Kamala. Selon la coutume celle-ci est recluse après ses premières règles jusqu’au prochain Kuarup, la fête des morts. Pendant ce temps on la prépare à devenir épouse et mère. Ana, dont la sensualité s’éveille, découvre leur différence ; mais elle se laisse aller à un rapport sexuel avec Yakaru, le prétendant de son amie. Toute la tribu append cet acte interdit qui plonge Ana dans la honte. Passée cette première épreuve, ses amies indiennes l’aident à supporter la douleur de son deuil. Quinze ans plus tard, alors qu’elle prépare son master à Paris, elle délaisse son petit ami et revient au Xingu, comme « appelée » par la terre noire, et sans regret pour « la vieille Europe qui ne l’[a] pas apprivoisée ».
 

Ainsi la forme romanesque rend vivante et attractive l’évocation des Indiens de cette région du Brésil. Avec Ana on découvre que dans la cosmogonie indienne Soleil et Lune représentent les mythes fondateurs. Pour ces Indiens tout est lié : passé et présent, morts et vivants et leur perception cyclique du temps  exclut  toute notion de progrès et détermine les rituels sociaux. Ana découvre l’importance des légendes et le rôle des esprits de la forêt — les katsek —, ensorceleurs dont seul le chaman peut contrer la malfaisance. Sa pensée cartésienne n’a pas de prise sur ce monde à la fois rassurant et inquiétant où l’on enterre vivants jumeaux et albinos. Mais depuis quinze ans la modernité a gagné le Xingu et la forêt brûle.

 

 Le père d’Ana, anthropologue, cherche à « démontrer la continuité de l’occupation indigène de ce territoire. La forêt amazonienne que le monde aimait s’imaginer vierge et intacte était en réalité intensément habitée « dès l’an 900 après Jésus-Christ. » Mais les zones indigènes se réduisent : tout est dévastation, persécutions politiques, religieuses et raciales : c’est « la malédiction de l’extermination » de ces Indiens, premiers occupants respectueux de cette terre noire. On comprend qu’ils voient l’archéologie comme le viol de leur mémoire sacrée ; mais il se pourrait que celle-ci puisse finalement « écouter ce que les mythes ont à dire ».

 

Un tel roman dépayse et captive : de ces Indiens nullement « primitifs » on pourrait apprendre leur gestion des espaces naturels tout comme leur organisation sociale qui exclut la pauvreté.

 

Rita Carelli : Terre noire. - Traduit du brésilien par Marine Duval. Éditions Métailié, 2024, 236 pages.

Chroniqué par Kate

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NB. Sur l'Amazonie et ses habitants, lire aussi l'essai d'Eduardo Viveiros de Castro, L'inconstance de l'âme sauvage, le livre de Stéphen Rostain, Amazonie. Les 12 travaux des civilisations précolombiennes, ou encore le roman de Bernardo Carvalho, Neuf nuits.

 

Tag(s) : #LITTERATURE BRESIL
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