Voilà deux ans, le 12 août 2022, dans une salle de conférence proche du lac Erié, à Chautauqua, Salman Rushdie a été sauvagement attaqué par un jeune imbécile contaminé par un imam yutubesque. Blessé de plusieurs coups de couteaux l'écrivain a survécu mais perdu un œil. L'année suivante il a écrit ce livre ce qui a beaucoup contribué moralement à sa guérison.
Une première partie intitulée L'Ange de la Mort, détaille les circonstances de l'agression, les blessures effrayantes et la souffrance, la rééducation. Rushdie mentionne les différents médecins qui l'ont soigné. Au milieu de ces souffrances, il dévoile une histoire d'amour qui n'avait pas encore quatre ans : la seconde épouse de l'auteur, Eliza, une poétesse, a joué un rôle crucial, le rejoignant à l'hôpital proche du lieu de l'attentat, veillant à ses côtés, organisant son retour à New York puis à leur domicile de Brooklyn une fois partis les paparazzi fatigués d'attendre.
La seconde partie, L'Ange de la Vie, montre pas à pas les progrès du blessé, les retrouvailles avec sa famille londonienne, son fils, sa sœur. Salman Rushdie imagine aussi des conversations — brillantes et étonnantes — avec son agresseur dans sa prison, occasion pour lui de préciser son opinion sur la religion, plus de trente ans après la fatwa des sinistres mollahs de Téhéran s'en prenant aux Versets sataniques et à leur auteur. Rushdie se souvient d'autres écrivains poignardés, Beckett en 1938, Naguib Mahfouz en 1994. Bien des écrivains lui ont témoigné leur sympathie, notamment Ian Mc Ewan et Colum McCann, ainsi que ses amis Paul Auster et Martin Amis décédés peu après. Salman Rushdie se sent ainsi comme un étrange survivant qui commence une nouvelle vie, devenu indifférent au sort de son assassin dont le procès n'est pas fixé au moment où le livre se termine.
On retiendra le témoignage émouvant d'une victime née à Bombay en 1947, immense auteur et célébrité d'abord londonienne, puis new-yorkaise et mondiale. On retiendra le réveil douloureux des souvenirs d'assauts hystériques contre les Versets sataniques publiés par Salman Rushdie en 1988, la persistance de sa rancœur contre les personnalités « qui se sont ralliées à l'attaque des islamistes pour dire quelle mauvaise personne j'étais. Parmi elles John Berger, Germaine Greer, le président Jimmy Carter, Roald Dahl et divers éminents conservateurs britanniques. Des commentateurs comme le journaliste Richard Littlejohn et l'historien Hugh Trevor-Ropper ont déclaré que cela ne les dérangerait absolument pas si j'étais attaqué. » On retient, in fine, le combat déterminé de Rushdie pour la liberté d'expression, son soutien aux refuges pour écrivains. Il était justement venu à Chautauqua pour soutenir « la création en Amérique de lieux sûrs destinés à des écrivains venus d'ailleurs ».
• Salman Rushdie : Le Couteau. Réflexions suite à une tentative d'assassinat. - Traduit par Gérard Meudal. Gallimard, 2024, 268 pages.