En cinquantaine chapitres brefs et de lecture aisée, la romancière sarde donne une mini-saga de quatre générations où l'on retrouve certains thèmes de ses ouvrages précédents, notamment Mal de pierres qui l'a révélée.
Ces Terres promises racontent avec une belle légèreté de ton les déconvenues d'une série de personnages. Pour le grand-père Raffaele, quitter son île pour Gênes puis Milan n'a pas apporté le bonheur familial : son épouse Ester l'a convaincu de rentrer en Sardaigne, et d'y vivoter gentiment au village. Leur fille Felicita a failli devenir l'épouse de Pietro Maria Meloni alias Sisternes, l'aristocrate du coin, mais elle préfère briser les fiançailles, garder leur enfant et l'élever à Cagliari, loin du père, quitte à vivre dans la pauvreté. Elle habite chez Mariana, une enseignante célibataire qui peste contre à peu près tout. Devenu adulte, Gregorio inspiré par son grand-père tente à son tour l'aventure : elle sera américaine, mais Judith, l'âme sœur qu'il y rencontre, meurt accidentellement, et il déprime. Seule sa mère pourra le réconforter. Les parents de Judith ont émigré vers une autre terre promise, Israël, où ils ne se plaisent pas. A la plage de Poetto, Felicita rencontre un pompier triste qui se prend pour une épave. Ce Gabriele est un être déçu parce que son fils a épousé une fille défigurée, et que cela a conduit sa femme au suicide, comme Felice le frère d'Ester qui s'était jeté dans un puits au village.
Heureusement, la passion de la musique ou de la littérature anime plusieurs personnages. Mariana cite Leopardi qu'elle semble connaître par cœur. Raffaele a rêvé de terres promises car « il avait tout simplement lu et relu les romans de Salgari, de Melville, de London et de Conrad ». Libéré par les Américains en 1943, il est devenu fan de jazz plutôt que de musiques populaires. Le jazz est aussi la passion de Pietro Maria. Cette passion est transmise à Gregorio dont le piano est l'instrument favori. A New York, son amie Judith est chanteuse. Avant comme après son voyage-éclair outre-Atlantique, Felicita cultive un passe-temps plus modeste qui devient son gagne-pain, fabriquer des objets d'artisanat d'art à partir de déchets, recycler.
L'opposition ville-village est chère à l'autrice, ainsi que la thématique de la mer. Si la grand-mère de Felicita a passé presque toute sa vie au village sans voir la mer, ses enfants l'entraînent à la plage de Poetto près de Cagliari et ça lui plait. C'est là que Felicita et Gabriele font connaissance. Sur la plage populaire, elle imagine les vagues comme un symbole du cycle de la vie. En revanche, la Costa Smeralda horrifie Raffaele qui refuse d'y aller travailler car il n'y voit que destruction de la nature au seul bénéfice des super-riches.
Les personnages de Milena Agus semblent programmés pour passer à côté de la réussite et se contenter d'un modeste épanouissement. Raffaele voulait être marin. Ester ne s'est pas plu à Milan. Pietro Maria rêvait d'habiter une villa dans une grande ville et c'est lui qui remet en état les jardins de la villa dont Mariana hérite à la mort de la tante qui l'a élevée. Mariana ne souhaite pas y habiter, elle préfère son deux pièces dans un quartier populaire aux odeurs de cuisine. Gregorio aspirait à réussir comme pianiste de jazz à New York. Il s'habillait toujours n'importe comment et ne cherchait pas à négocier au mieux ses contrats. Mariana a passé des années sans connaître l'amour. Gabriele ne voulait plus voir son fils et son petit-fils. Seule Felicita est heureuse en toutes circonstances. Aussi se fait-elle qualifier de « béate optimiste ». Les bonheurs simples lui suffisent. Elle a refusé les mondanités d'un mariage. Elle est végétarienne puis végane. Elle contemple la mer et adore son fils. Elle est l'héroïne simple, paisible et tenace comme les aime Milena Agus. En somme Felicita vit en accord parfait avec son prénom. La démonstration est faite que Milena Agus est vraiment l'auteure anti-bling bling !
• Milena Agus : Terres promises. Traduit par Marianne Faurobert. - Liana Levi, 2018, 174 pages.