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En juillet 1976 le volcan de la Soufrière entrait en éruption : c’est le point focal de toute la narration ; ainsi les temporalités bousculées, les récits enchevêtrés contribuent à l’évocation d’une atmosphère aussi dramatique que lumineuse.
Deux personnages clé articulent le roman. Eucate, une veuve qui vit seule avec sa petite fille Anastasie dans une case miséreuse au fond d’une ravine au flanc du volcan ; et Elias Bevaro, chef de clan septuagénaire retiré dans une vieille cabane sur Grande Terre. On suit l’histoire de ces deux familles et de leur nombreux enfants.
Évoquer la Guadeloupe c’est faire rêver du paradis : il n’en est rien dans ce roman. La misère et la tristesse pèsent sur les habitants ; la canne à sucre et l’élevage ne rapportent plus guère à la plupart d’entre eux. Le chômage pousse les jeunes à partir en France. La nature y ajoute car chaque terrible cyclone « apporte son charroi de malheur » ; jadis Eucate, emportée par les flots, a lâché son premier né, « ce qu’elle avait de plus précieux, pour sauver sa peau ». L’éruption du volcan entraîne l’exode de milliers d’habitants de Basse Terre vers Grande Terre et engendre de nombreuses difficultés économiques.
Mais surtout le mal-être des Guadeloupéens vient de leurs rapports tendus avec les békés, les blancs, et leur « incroyable sentiment de supériorité ». « Un sentiment d’humiliation pesait sur eux tous depuis bien avant leur naissance, dont ils ne parvenaient jamais à se défaire ». Abandonnés par la France, seule la solidarité leur permet de survivre. Dans un tel contexte l’autrice rend perceptible la violence des hommes machistes, la réputation des femmes faciles, les aventures sans lendemain.
Née à Créteil d’un père guadeloupéen, Estelle-Sarah Bulle dessine une image contrastée de l’île : à l’existence déprimante des autochtones s’oppose l’évocation d’une nature luxuriante et paradisiaque où naissent des amours adolescentes. Le choix du pluriel « Basses Terres » laisse à entendre que sur les deux îles le moral de la plupart des Guadeloupéens reste au plus bas. Mais en parsemant son récit de termes locaux, l’autrice ajoute une appréciable coloration exotique à son écriture très fluide .
Néanmoins c’est un roman qui se mérite.
• Estelle-Sarah Bulle : Basses terres.- Liana Levi, 2024, 195 pages.
Chroniqué par Kate.