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Non, à ma connaissance, Russell Banks n'a jamais fait de séjour en prison. C'est un récit de captivité imaginaire, raconté par un menuisier d'un genre particulier, et source d'un certain malaise. Le narrateur appartient à une secte de dissidents comme on disait de ceux qui s'éloignaient de l’Église officielle. Il fabrique des cercueils non pour les défunts mais pour les vivants afin que ceux-ci s'y recueillent pour prier les morts et communiquer avec eux. Communiquer avec les morts, souffrir avec eux par charité, tel est le fondement de la religion du narrateur. Or, le pouvoir politique vient d'interdire cette fabrication de cercueils non destinés à l'inhumation. Le narrateur se voit conseillé d'abandonner cette idée de cercueil, de se reconvertir dans la fabrication d'armoires. Mais il persiste dans sa foi et son refus de se plier à la nouvelle loi civile. Ainsi se retrouve-t-il dans la prison locale en attente d'une accusation officielle et d'un procès en règle. Insistant pour être jugé, il obtient de son geôlier d'inscrire son nom dans l'agenda du tribunal pour que son affaire avance. Mal lui en prend, il est bientôt condamné pour falsification de document officiel et maintenu en prison tandis que le geôlier à qui il avait donné son propre cercueil est condamné à mort.

 

Douze années de prison s'ensuivent pour le narrateur qui en présente les étapes successives après qu'un nouveau geôlier a pris ses fonctions. La seconde épouse lui rend quotidiennement visite et s'inquiète de devoir faire vivre les cinq enfants du premier mariage. Elle vient avec une cousine et le taulard cède à la tentation de la chair ; puis l'intervention en rêve des parents morts vient lui intimer l'ordre du retour à l'abstinence sexuelle. D'autres privations suscitent des songes de festin, de boisson, d'argent et d'or, toutes tentations qu'il lui faut repousser. Le narrateur expose également ses querelles avec ses compagnons de prison quand ils se retrouvent à la cantine. Il doit affronter des athlètes, disputer avec des philosophes, avant de rentrer en lui-même faire aux morts la charité de penser à eux. Après le décès de sa femme, les maladies s'enchaînent pour le prisonnier et s'aggravent au point que l'administration pénitentiaire lui fournit enfin un cercueil et c'est dans ce cercueil qu'il écrit son récit comme un testament, parsemé de références à de prétendus livres sacrés, comme on le fait des références bibliques et évangéliques.

 

Cet étonnant roman sans précision de nom du prisonnier, du lieu, de l'époque semble renvoyer aux anciens temps de l'Amérique coloniale quand la Nouvelle Angleterre se peuplait de puritains, de dissidents, et autres “non conformists”, rivaux bien sûr. C'est pour moi une surprise de trouver cette histoire rance dans l'œuvre de R. Banks qui est connu par ses idées progressistes. Il est vrai cependant que les humbles, les laissés-pour compte, les marginaux, etc, se rencontrent dans d'autres œuvres de R. Banks. Quant au thème de la communauté sectaire, on le retrouve dans Le Royaume enchanté, dernier roman de R. Banks publié en 2024 un an après sa disparition. La confession au seuil de la mort est un procédé que Russell Banks n'a pas utilisé que pour Le Récit de mon emprisonnement ; il l'a repris dans ses derniers ouvrages avec l'interview filmée de Leonard Fife le personnage principal d'Oh, Canada, et avec les bandes magnétiques laissées par Harvey Mann le héros du Royaume enchanté.

 

Avec son écriture inspirée des temps passés, lourde de subjonctifs et de propositions relatives, ce roman résiste à une lecture rapide et vous imprègne l'esprit d'une personnalité enfermée dans ses croyances et refusant d'abjurer sa foi. En somme un roman qui peut laisser un souvenir fort — à supposer que le lecteur ne l'ait pas rejeté d'emblée.

 

Russell Banks : La relation de mon emprisonnement. - Traduit par Rémy Lambrechts. Babel, 2015, 147 pages. [The Relation of My Imprisonment, 1983].

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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