La découverte de soi — esprit et corps — est le thème majeur de ce récit, découverte facilitée par la maladie et le nomadisme du personnage principal progressivement conscient de son évolution morale, jusqu'à en faire part à ses amis, trois hommes qu'il convoque chez lui pour qu'ils écoutent son récit et puissent en rendre compte à un important personnage de leur cercle.
Michel, un intellectuel parisien, vient d'épouser Marceline, belle femme fragile qu'il dit aimer — mais on en doute un peu. Ils partent en voyage de noces en Italie, passent une nuit d'amour à Sorrente, et se rendent à Tunis puis dans l'Est de l'Algérie. Michel contracte la tuberculose en cours de voyage et semble en guérir. Deux ans plus tard, Marceline contracte à son tour la tuberculose durant un séjour en Suisse et alors qu'ils sont revenus en Algérie, elle en meurt en plein Sahara. On sait que la tuberculose causait des dizaines de milliers de victimes chaque année en France à l'époque où Gide écrivait l'Immoraliste. Très contagieuse, elle était réputée à peu près incurable. Le séjour en Afrique du Nord était recommandé par les médecins, puis on édifia des sanatorium en montagne et dans le Midi. La vaccination par le BCG interviendra après la Guerre de 1914-1918.
Le couple nomadise pourrait-on dire et Michel donne ainsi la preuve de son incapacité à se fixer. Si tout commence par un voyage de noces, l'ensemble du texte correspond à une suite de déplacements entre Paris, la Normandie, la Suisse, l'Italie, la Tunisie et l'Algérie. Michel est historien de l'Antiquité tardive comme on dit aujourd'hui ; il s'intéresse aux écrits de Cassiodore, au royaume ostrogoth, au jeune roi Athalaric mort au terme d'une courte vie de débauche. Michel, après son cours sur Cassiodore au Collège de France, a rencontré son ami Ménalque, « toujours de passage », qui lui aussi s’apprête à quitter Paris pour une mission mystérieuse à l'étranger, en Asie semble-t-il. A cette instabilité des urbains s'oppose par convention la stabilité des paysans normands du Pays d'Auge.
En se remettant de la tuberculose, Michel a découvert peu à peu son homosexualité, sans que Madeleine paraisse s'en formaliser. Il le constate d'abord avec son intérêt pour les jeunes garçons bronzés en Algérie. Ce penchant se confirme durant les deux séjours d'été en Normandie sur l'une des fermes, la Morinière, dont il est propriétaire. Il s'entiche d'abord du fils du régisseur et l'année suivante est fasciné par des ouvriers agricoles, de jeunes adultes musclés et retors, tandis que Madame reçoit au salon des visiteurs mondains. Émerge surtout la figure de jeunes Kabyles ou Arabes rencontrés au premier comme au second séjour en Afrique du Nord. Il est clair qu'il y a là plus qu'un écho de la biographie de l'auteur...
L'écriture soignée d'André Gide, un peu guindée certes, pourrait suffire à conseiller cette lecture qui appartient au genre de la découverte de soi. C'est néanmoins « un fruit plein de cendre amère » ainsi que l'écrit l'incipit. On peut rester indifférent à ce personnage de Michel, qui nous semble, après tout, irritant et presque antipathique et s'étonner que ce trio d'amis traverse la Méditerranée jusqu'à un coin perdu du bled pour l'entendre pérorer. Ils avaient reçu « un cri d'alarme ». Ils ont accouru. Leur porte-parole s'adresse à l'ami devenu chef du gouvernement pour trouver « une occupation » à Michel — c'est une « amitié de collège » qui explique tout !
• André Gide : L'Immoraliste. - Mercure de France, 1902. En Folio : 180 pages. Ici, couverture du Livre de Poche, 1963.