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Tommaso et le photographe aveugle est le dernier roman de Gesualdo Bufalino (1921-1996), et la dernière traduction française de l'auteur sicilien après six titres parus chez l'Âge d'Homme et Julliard. L'action ne se déroule pas dans son île mais en banlieue de Rome, dans un complexe résidentiel inachevé, avec une seule tour de douze étages, dont le promoteur a émigré en Floride. “Flower City” est gérée par un syndic, l'avocat Mundula, et le concierge Tommaso. Son local faisant fonction de loge n'est éclairé que par une ouverture à hauteur de trottoir qui lui permet de compter les passants du quartiers et faire des statistiques d'après leurs chaussures. Tommaso s'est en quelque sorte retiré du monde : il a démissionné de son emploi dans un journal local et sa femme l'a quitté. Il se trouve ainsi dans la position d'observer la vie d'un immeuble et de ses locataires et propriétaires, avec la prétention d'écrire cette chronique d'un été et d'un automne. Autrement dit le roman de Gesualdo Bufalino se range qu'on le veuille ou non parmi les œuvres dédiées à la vie d'un immeuble, comme La Vie, mode d'emploi de Georges Pérec ou encore La Colmena (La Ruche) de Camilo José Cela.

 

Le personnage du photographe aveugle qu'il a surnommé Tirésias tranche sur le reste du groupe où l'on retrouve un éventail plausible de personnes de différents âges et de conditions diverses avec qui notre concierge entretient un minimum de relations suffisant à donner du tonus à l'intrigue. Relevons par exemple Lo Surdo dont l'usine a brûlé malgré le versement du pizzo ou l'ingénieur Garaffa qui s'inquiète de la solidité des structures du bâtiment tandis que Crisafulli, l'apprenti dramaturge, se propose de jouer une saynète lors de la prochaine assemblée des résidents convoquée par Mundula. Plus romanesques, voici la Mariposa qui fait scandale, Matilde la sœur du photographe et Léa qui inspire à Tommaso une passion digne du jeune homme qu'il n'est plus. Or, Tirésias, qui autrefois travaillait pour la presse masculine, continue d'être apprécié parce que devenu aveugle : on l'invite à photographier des orgies romaines dénudées. Encore faut-il qu'il rende tous les rouleaux de négatifs à ses clients... car c'était l'époque de la photographie argentique. De là, l'agression qu'il subit de la part d'un motocycliste en traversant le boulevard pour aller au cinéma en compagnie de Tommaso.

 

Notons que le livre fourmille d'allusions culturelles bien sûr principalement italiennes, quand par exemple Tommaso se présente comme étant “Mathias Pascal” à une fille du beau monde qui n'a pas lu Pirandello. Ou encore que certains scènes ne manqueront pas de suggérer le souvenir d'images filmiques, de Fellini ou de Dino Risi. Mais tout n'est qu'une fiction inventée par Tommaso, sollicitée par son ancien rédacteur en chef, jusqu'à donner un clin d'œil à L'écroulement de la Baliverna de Buzatti. Et quand l'intrigue élaborée par Tommaso laisse place à la “réalité” on assiste à la répétition d'une scène essentielle ce qui ne manque pas d'interroger l'importance du hasard tout en donnant lieu à une pirouette formaliste des plus plaisantes.

 

 

Gesualdo Bufalino : Tommaso et le photographe aveugle. - Traduit par Bernard Simeone. Verdier, 1999 [Bompiani, 1996]. 184 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ITALIENNE
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