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Alors premier roman de l'auteur traduit en français, L'immeuble Yacoubian, a été un phénomène de l'édition dans le monde arabe dès sa publication en 2002 au point qu'Alaa El Aswany a été une figure de l'opposition à Moubarak d'où son recueil de Chroniques de la Révolution égyptienne (2011) et après le Printemps arabe, un nouveau roman J'ai couru vers le Nil (2018) interdit en Égypte, si bien que l'auteur enseigne désormais la littérature aux États-Unis.

 

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      En 1934 le riche homme d'affaires arménien nommé Hagop Yacoubian s'est adressé à un architecte italien pour édifier au Caire, rue Soliman-Pacha, un immeuble de prestige de dix étages avec ascenseurs Schindler, beaucoup de marbre et colonnes ornementales. Au fil du temps, le standing décline et au temps de la révolution nassérienne, la terrasse est envahie de cabanes pour loger des migrants pauvres venus de Haute-Égypte. L'immeuble témoigne d'un temps révolu où le Caire était multiculturel. Le procédé n'est pas nouveau. Au moyen d'une palette de résidents d'un immeuble de centre-ville, un romancier dépeint de manière critique et contrastée la société de son pays, l'immeuble valant pour l'ensemble, et les personnages décrivent dans leur diversité les figures représentatives de la tradition ou du changement.

 

 

      Rentré de ses études études à Paris avec en poche un diplôme d'architecte, Zaki Dessouki, fils de gros propriétaire foncier proche de la cour, a installé son bureau dans l'immeuble Yacoubian. Maintenant, à soixante ans passés le voici le plus ancien résident de l'immeuble désormais défraîchi. Certains sont bien plus riches que lui, comme le hadj Azzam, ancien mendiant devenu milliardaire grâce au trafic de drogue, qui a blanchi l'argent mal acquis en achetant de nombreuses boutiques puis des concessions automobiles. D'autres sont plus intellectuels, comme Hatem Rachid, directeur d'un journal de qualité, fils d'un célèbre juriste. A l'autre bout de l'échelle sociale, les habitants de la terrasse triment et survivent difficilement, comme la jeune et jolie Boussaïna avec sa mère et ses jeunes frères et sœurs, ou encore Abaskharoun le factotum de Zaki, et son frère Malak le chemisier, ou encore Taha le fils du concierge, fier de ses notes excellentes au baccalauréat.

 

 

      Qu'est-ce qui fait courir ce petit monde : l'argent, la religion, ou le sexe ? Tous les mobiles s'additionnent chez Azzam qui est le plus riche de tous. Il verse pieusement beaucoup d'argent à son confesseur. Une nouvelle concession automobile avec les Japonais doit lui apporter des profits sans précédents parmi ses entreprises légales. Il choisit une jeune veuve, Soad, comme seconde épouse à condition qu'elle ne tombe pas enceinte. Pour Hatem et Zaki, c'est le sexe qui l'emporte. Hatem, homosexuel notoire, drague au bar Chez Nous et à la sortie des casernes. Zaki, toujours célibataire, multiplie les rendez-vous dans son bureau avec des jeunes femmes intéressées par les restes de sa fortune. Sa réputation en sera mise à mal, et sa chipie de sœur passera à l'action. Quant à Taha, refusé à l'école de police, il devient un militant islamiste encadré par un cheikh de la Jamaa Islamiya. Boussaïna, qui doit faire vivre sa famille sur la terrasse, s'écarte de lui et trouvera bien un protecteur.

 

      Le roman d'El Awasny comprend aussi des considérations historiques et politiques. « Abdel Nasser a été le pire dirigeant de toute l'histoire de l’Égypte. Il a perdu le pays. Il a apporté la crise et la misère. (Il) a enseigné aux Égyptiens la lâcheté, l'opportunisme, l'hypocrisie » juge Zaki Dessouki qui a perdu ses terres dans la réforme agraire de Nasser et qui vit dans la nostalgie de l’Égypte d'autrefois. La corruption des fonctionnaires et des dirigeants est quasiment un fil rouge dans le livre même si je n'y ai pas lu le mot “bakchiche”. Taha aurait dû graisser la patte du président du jury, au lieu de quoi il est rejeté de l'école de la police. Choqué par l'injustice il croit pouvoir dénoncer un officier. Sa colère le conduit tout droit chez les islamistes. La corruption des dirigeants c'est le riche Azzam qui en fait le plus l'expérience : il achète au prix fort un poste de député, et plus tard il doit quand même se plier au racket exercé par le « Grand Homme » — on devine que c'est Moubarak — pour rester maître de sa concession automobile.

      Et puis le roman se situe dans le contexte de la Guerre du Golfe. Les troupes de Saddam Hussein ont envahi le Koweit. La coalition internationale qui se forme contre l'Irak unit les Américains et les Égyptiens. Pour Taha et ses frères de la Jamaa Islamiya c'est un scandale et un péché : Taha choisit le djihad pour combattre le pouvoir égyptien au nom de la charia et du Prophète.

 

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      Un tabassage, un attentat sanglant et un mariage joyeux — devinez donc qui sont les heureux mariés ! — concluent les récits entrecroisés de L'immeuble Yacoubian. L'auteur a su rendre très vivante sa description du quartier, de la vie quotidienne, et on ressent de la sympathie pour (presque) tous ses personnages. On a envie de rapprocher ce livre d'une autre lecture marquante sur un sujet comparable : Passage des Miracles de Naguib Mahfouz.

 

      • Alaa El Aswany - L'immeuble Yacoubian. Actes Sud 2006, et Babel 2007, 324 pages.

 

Tag(s) : #MONDE ARABE, #EGYPTE
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