/image%2F0538441%2F20230826%2Fob_4ecac2_pauvre-folle.jpg)
Comme Dans ma maison sous terre, l'héroïne de Pauvre folle a vu son père tuer sa mère. Mais dans ce roman-ci l'assassin s'est aussi tiré une balle dans la tête. La gamine, fort traumatisée, est confiée à la protection d'une tante qui n'a pas la culture de sa mère ce qui l'exaspère et l'affecte d'un comportement suicidaire. En effet Clotilde Mélisse a découvert la poésie à la maison dans les Lagarde et Michard de sa mère prof de lettres et elle rêve d'en éclairer sa vie. L'adulte bi-polaire qu'elle est devenue, jeune écrivaine féministe invitée à la Villa Médicis, rencontre alors Guillaume, un cinéaste, et en tombe amoureuse, malgré les avertissements de ses amies « guérillères » comme écrit Monique Wittig.
Attention ! On ne va pas vous servir le roman rose au schéma convenu. Bien sûr il y aura une escapade intime à Venise ou Vérone, mais Clotilde est lesbienne et Guillaume gay. Pour le reste ça se passe davantage devant l'écran de l'ordinateur qu'au lit. Clotilde qui aime la magie s'invente une vie rêvée avec Guillaume, dans un cadre bucolique, — sorte de carte du Tendre édifié sous Word et développé à deux en Google Docs.
Évidemment cette aventure fusionnelle d' « elleetlui » est à cent lieues de l'idéologie féministe radicale qui organise et emprisonne sa vie ordinaire à Paris. La bulle enchantée éclate quand Clotilde a cru pouvoir monter à l'appartement de Guillaume pour le retrouver en chair et en os et en jouir sans écran interposé : impossible car son amant déjà dans la place menace de se suicider. Il s'ensuit dix ans sans relation entre eux deux, dix ans sans « elleetlui ». Elle compense en devenant « hôtesse de bar » dans le XVIe, pour ne pas dire « pute » et elle lit Grisélidis Réal plutôt que Rimbaud ou Apollinaire.
Et puis elle continue d'écrire. Après la sortie de son roman Aujourd'hui Mesdames, elle reçoit un long courriel de Guillaume surpris d'y avoir découvert son prénom. Clotilde croit pouvoir reprendre la partie poétique et érotique, mais la sortie en salle du film de Guillaume y met brutalement fin quand elle apprend qu'il vit depuis six ans avec Juan l'Argentin et surtout que Guillaume a eu d'autres liaisons féminines avant elle. Elle qui se croyait la Reine... Ah, le Monstre !
Dans le train qui l'emmène de Paris à Heidelberg — en passant par la gare de Brême sans doute pour que ça prenne plus de temps pour tout ressasser —, Clotilde extrait de sa tête malade tous les souvenirs d'« elleetlui » qui forment un puzzle impossible à terminer. Pourquoi Heidelberg dira-t-on ? Pour arpenter le chemin des philosophes ? Parce que c'est romantique ? Et, attente légitime, on peut se dire qu'elle va s'y suicider, la « pauvre folle ». Ou au moins tomber dans un escalier comme sur la couverture ! Non...
À ce regret final on peut ajouter l'excès de développements didactiques du féminisme radical à la sauce #MeToo, à moins de prendre le pensum au second degré et d'éclater d'un rire miteux. Écrivaine prolifique, Chloé Delaume est capable de livrer de belles envolées dans ce roman taillé pour la Rentrée littéraire, mais aussi hélas coupable d'usage de franglais — « Clotilde dont le make-up est loin d'être waterproof... » — et de néologismes lourdingues comme quand l'héroïne s'inquiète de « relationner avec un gay revendiqué ». Un affreux verbe lu six fois au moins !... Une fois écartées du décor les lubies de l'époque c'est quand même lisible si vous êtes en manque.
• Chloé Delaume : Pauvre folle. Seuil, 2023, 233 pages. Chloé Delaume a reçu le prix Médicis 2020 pour Le cœur synthétique.