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Milan Kundera vient de nous quitter... Tenu pour le plus célèbre de ses romans, L'Insoutenable légèreté de l'être repose sur un sujet principal — les amours de Tomas et Teresa — dans le contexte de la répression du Printemps de Prague. Autrement dit, l'histoire personnelle et l'Histoire du pays se répondent.

 

Le personnage principal, Tomas, a rompu les liens d'un mariage qui lui pesait. Il ne veut plus voir ni femme ni enfant. La femme était une communiste convaincue apprendra-t-on plus tard comme si c'était une excuse. Chirurgien dans un hôpital de la capitale, il mène une vie de don juan, de légèreté irresponsable, évite de s'attacher à ses conquêtes — même Sabina qui est sa préférée, vite déshabillée pour l'amour dans son atelier de peintre. Plutôt que de narrer par le détail les aventures sexuelles et les coucheries de Tomas, l'auteur a pris le parti de situer la vie privée de Tomas au sein de considérations plus philosophiques. Est-ce bien désormais la légèreté qui résume le mieux la vie de ce don juan et de ses relations ? A moins que la pesanteur ne prenne sa revanche. De Parmenide à Beethoven et Nietzsche, les références cultivées de Kundera ont ravi les intellectuels des années 80 quand la mort du roman vivait son éternel retour.

 

L'improbable Tereza croise le chemin de Tomas. Un bar d'hôtel, un quai de gare, une adresse à Prague donnée au cas où... Avec Tereza c'est la fragilité qui allume la compassion puis l'amour de Tomas sans qu'il mette fin pour autant à sa vie d'aventures sexuelles. Or peu à peu Tereza arrive à s'imposer : c'est elle qui lui fait quitter le confortable exil suisse pour rentrer dans Prague occupée par les Russes, c'est elle — quelques années plus tard — qui le convainc de quitter la capitale déchue pour un village perdu où ils découvrent une vie rurale isolée — et là il n'aura plus de possibilité de batifoler ! Mais il se croit devenu heureux entre Tereza et son chien Karénine. Tout simplement, le don juan avait vieilli.

 

L'autre pesanteur a eu raison de la légèreté de Tomas c'est l'invasion punitive consécutive au Printemps de Prague. Si la haine des Russes transforme d'abord Tereza en photographe de rue, elle les amène à se réfugier en Suisse, comme Sabina d'ailleurs. Mais aucun d'eux n'y restera : Sabina décide avec sa légèreté habituelle de chercher d'autres amants en France et de poursuivre en Amérique sa carrière de peintre. Au contraire, Tereza revient à Prague avec son chien et quelque temps après Tomas la suit comme un toutou, quittant le luxe de la clinique suisse pour foncer tête baissée vers la répression soviétique. Bientôt Tereza en fait des cauchemars...

 

Le principe de l'occupant et de ses collabos tchèques est d'humilier. Pour un courrier des lecteurs un peu critique et ironique, Tomas choisit de perdre son emploi de chirurgien plutôt que signer une lettre de rétractation. Devenu médecin généraliste dans un dispensaire de périphérie, il répète le même choix de ne pas avaler son chapeau et se retrouve laveur de carreaux : mais à la chute sociale il trouve un avantage. Plus de soucis professionnels, et l'occasion de multiplier les rendez-vous galants chez les clientes de l'entreprise de nettoyage... C'est à cette situation que Tereza veut mettre un terme en enracinant Tomas dans la campagne. La main qui ne peut plus guider le scalpel du chirurgien est encore assez bonne pour creuser la tombe de son chien et conduire un vieux camion de ferme. C'est ce qui leur sera fatal comme on le sait déjà à la moitié du roman. Plus romantique, Franz, l'ex-amant de Sabina, ira se fait massacrer à Bangkok — en un épisode exotique et ridicule.

 

Au bout du compte, au bout du conte, que retient-on de ce roman à la si belle réputation ? Les paradoxes sur la légèreté et la pesanteur, sur le glissement progressif de l'une vers l'autre, s'évanouissent et disparaissent finalement derrière l'image de ratage d'une vie que donne Tomas, en écho du ratage de la poussée libérale et démocratique de 1968. Mais si on veut retenir l'art romanesque plus que l'intrigue tchèque, reste une certaine musique d'un récit où l'auteur tourne assez vite les pages des chapitres, et prend souvent la parole pour rappeler ce qu'on a lu et, alors, reprendre le récit selon une autre perspective. La légèreté est plutôt là.

 

Milan Kundera : L'insoutenable légèreté de l'être. Traduit du tchèque par François Kérel, Gallimard, 1984, 393 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE EUROPEENNE, #TCHEQUIE
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