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Premier tsar de Russie, Ivan le Terrible, officiellement IV Vassiliévitch, laissa à travers les siècles le souvenir d'un tyran exceptionnellement sanguinaire, mais sa biographie par le grand écrivain Henri Troyat, même rapide, ne peut se résumer à cela.

 

Un orphelin devenu tsar

Né en 1530, le fils aîné du grand-duc Vassili III et d'Hélène Glinski a connu une bien triste enfance puis qu'il a perdu très jeune ses parents et s'est retrouvé ballotté à la Cour au milieu des intrigues des boyards, c'est-à-dire les membres des principales familles de l'aristocratie russe, ce qui expliquerait sa cruauté envers ces personnages tout au long de son règne. Protégé et conseillé par le métropolite Macaire, il se fait couronner tsar pour s'affirmer héritier de Constantinople tombée aux mains des Turcs et aussitôt se marie, à 17 ans, avec Anastasia Romanovna dont la famille n'est pas impliquée dans les intrigues des boyards tels les Chouïski et Bielski. De mauvais présages marquent le début du règne : deux incendies géants ravagent Moscou cette même année 1547. La rumeur populaire pointe la culpabilité des Glinski. Au début de son règne, Ivan IV gouverne avec une sagesse relative que l'on attribue à l'influence de sa femme, du moine Sylvestre et de son confident Alexis Adachev.

 

La conquête de Kazan

Après avoir réorganisé son armée le tsar l'envoie prendre Kazan en 1552, ce qui ouvre à l'autorité de Moscou tout le bassin de la Volga jusqu'à Astrakhan, donne au commerce russe des perspectives nouvelles et à la Russie une solide assise territoriale. Sur la place Rouge, la cathédrale de Basile-le-Bienheureux est édifiée en souvenir de ce succès sur les Tatars. Reste cependant au sud le khanat de Crimée, menace tatare durable quand elle peut se conjuguer avec les ennemis que constitueront Pologne, Lituanie, voire Suède. Ces pays se donneront avec Étienne Bathory un chef militaire capable de reprendre la Livonie et de faire reculer les Russes en 1580. La Russie d'Ivan IV n'a donc pas encore de grande ouverture sur la Baltique, mais elle a atteint la mer Caspienne. Et à la fin de son règne, l'immense Sibérie s'ouvre à ses marchands.

 

Le martyre de Novgorod

En 1560 la mort subite de son épouse Anastasia pousse Ivan au désespoir, à la débauche et à la démence. Il s'imagine que Sylvestre et Adachev ont empoisonné sa femme. Il se débarrasse d'eux. C'est le début d'une violence qui s'exerce sur son entourage, sur les chefs religieux comme le métropolite Philippe, sur les chefs militaires même victorieux des Tatars. Les prisons et les monastères regorgent de victimes. Les pires supplices deviennent une banalité autour d'un prince qui s'avère le plus sadique qui se puisse imaginer, n'hésitant pas à associer son fils aux tortures. La ville de Novgorod devient une cité martyre : en 1570 une grande partie de la population est exterminée et ses biens pillés : elle ne sera plus jamais la concurrente de Moscou. La famine et la peste s'abattent ensuite sur la Russie : punition céleste ? L'année suivante les Tatars incendient Moscou dont les constructions étaient principalement en bois. Pour ne pas voir les ruines, le tsar s'installe à Alexandrovskaia Sloboda à quelques dizaines de verstes du Kremlin.

 

Le collectionneur de mariages

La première tsarine est à peine décédée en 1560 que le tsar veut se remarier. N'ayant pu épouser la sœur du roi de Pologne Sigismond-Auguste, il demande la main d’Élisabeth Ière et il s'adresse aussi à elle pour obtenir l'assurance de pouvoir s'exiler dans son royaume : « Vous habiterez à vos frais ! » lui répond-elle. Refroidi, il ne conclut avec elle que des accords commerciaux qui donnent aux marchants anglais des avantages considérables en Russie et un accès à la Perse... Le second mariage est donc célébré en 1561 avec la princesse tcherkesse baptisée Marie. Est-ce un ogre comme Barbe-Bleue ou un émule d'Henri VIII ? Toujours est-il que le rythme s'accélère ensuite. Avec ou sans cérémonie voici Marfa Sobakine (qui meurt avant que le mariage soit consommé), Anne Koltovski (vite répudiée), puis une autre Anne, et Vassilina Melentiev, Marie Dolgorouki, et enfin Marie Nagoï — ce qui ne l'empêche pas, deux ans avant sa mort, de demander à Élisabeth Ière de lui trouver une jolie Anglaise !

 

Le tsar assassin de son fils

La santé physique et mentale du tsar se dégrade à force d'abus de table et de violences. Une dispute avec sa belle-fille enceinte tourne mal : elle fait une fausse couche et meurt. Le tsarévitch est évidemment furieux contre son père irascible — qui le frappe à la tête avec l'épée qu'il garde toujours à la main. Les peintres ont représenté la mort du tsarévitch Ivan. L'évènement tragique pousse vers le trône le beau-frère du tsarévitch : Boris Godounov. Pour Ivan le Terrible c'est peut-être le déclic qui lui ferait prendre conscience de l'immensité de ses crimes. Le tsar se sentant coupable dresse de longues listes de victimes, des nécrologes, qu'il adresse aux monastères pour qu'on prie pour elles et aussi pour lui : que Dieu lui pardonne, puisqu'il est sacré. Devins, astrologues et magiciens réunis au Kremlin calculent sa mort pour le 15 mars 1584. Ils ne se sont pas trompés car ce soir là le tsar est mort en jouant aux échecs.

 

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Ilya Répine - Ivan le Terrible tue son fils. 1885. Galerie Tretiakov, Moscou. Le célèbre tableau vandalisé en 1913 et 2018.

 

Un modèle pour Staline

Le comportement criminel du premier tsar fait évidemment penser à Staline qui a semé la mort dans son pays avec un régime totalitaire et monstrueusement répressif. Comme Staline, Ivan le Terrible a gouverné par la peur en s'appuyant sur une armée de criminels dévoués. On pourrait les comparer aux siloviki de Poutine... C'étaient les opritchniki, réunis pour leur brutalité, confisquant les biens des boyards, échappant à toute justice. Ils ont inspiré récemment à Vladimir Sorokine un roman parodique (voir ici). Douze mille familles de l'aristocratie furent ainsi privés de leurs biens par Ivan le Terrible. Après la mort d'Ivan IV les boyards redresseront la tête : ce sera le tragique « temps des troubles » jusqu'à l'accession au trône du premier Romanov.

 

La courte biographie écrite par Henri Troyat bénéficie de sa connaissance de la culture russe, lui qui est né sous le nom de Tarassov. Elle a le mérite d'une écriture fluide, de bénéficier d'extraits de la correspondance d'Ivan le Terrible, avec son conseiller puis ennemi Kourbski, avec Sigismond-Auguste et même la reine Élisabeth Ière.

 

Henri Troyat. Ivan le Terrible. - Flammarion, 1982, 284 pages.

 

En couverture portrait du tsar par un peintre anonyme, vers 1600. Musée national, Copenhague.

Si l'on souhaite lire un ouvrage plus récent et plus approfondi que l'essai de Troyat, on pourra se reporter à la biographie de Pierre Gonneau parue en 2014. Le film Tsar de Pavel Lounguine est également à conseiller. On n'oubliera pas la version d'Eisenstein — en deux parties, la troisième ayant été détruite sur ordre de Staline — dont une analyse filmique essentielle est fournie par Philippe Sers, au chapitre VIII (Eisenstein devant Staline) de son livre Totalitarisme et Avant-gardes, Les Belles Lettres, 2001.

 

 

Tag(s) : #BIOGRAPHIE, #RUSSIE
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